Nous savons que les premières étoiles, connues sous le nom de population III, sont nées 100 à 200 millions d’années après le Big Bang. À cette époque, celle de la recombinaison, l’Univers avait suffisamment refroidi pour permettre la formation d’atomes d’hydrogène et d’hélium. Ces étoiles massives et extrêmement lumineuses ont alors marqué le début de la formation d’objets cosmiques complexes et façonné ainsi l’évolution du cosmos. Pourtant, malgré leur taille gigantesque et leur potentiel, ces premières étoiles ne pouvaient pas grandir indéfiniment. Des recherches récentes ont montré que plusieurs mécanismes naturels ont limité leur croissance. Parmi eux, les champs magnétiques ont joué un rôle clé en freinant leur taille bien avant l’intervention d’autres phénomènes, comme la rétroaction radiative.
Les géantes de l’Univers primordial
Les étoiles de population III étaient bien différentes des étoiles que nous observons aujourd’hui. Constituées principalement d’hydrogène et d’hélium, ces étoiles ne contenaient pas les éléments lourds que nous associons aux étoiles modernes tels que le carbone ou l’oxygène. En raison de leur composition et de leur environnement, ces premières étoiles étaient énormes et ultra-lumineuses (certaines atteignaient même des tailles bien supérieures à celles du Soleil).
Ces étoiles ont joué un rôle clé dans l’histoire cosmique en étant responsables de la création des premiers éléments plus lourds à travers des processus de fusion nucléaire intenses, avant de terminer leur vie dans des explosions spectaculaires appelées supernovae primordiales. Ces explosions ont non seulement enrichi l’Univers en éléments chimiques, mais aussi permis la formation des premières galaxies et structures cosmiques.
Cependant, une question demeurait toujours : pourquoi ces géantes de l’Univers primordial ne sont-elles pas devenues encore plus massives, comme on pourrait s’y attendre dans un environnement de grande gravité et de faibles températures ? La réponse se cache dans des mécanismes jusque-là sous-estimés : les champs magnétiques.
La formation des étoiles et la rétroaction stellaire
Dans l’Univers moderne, la formation des étoiles suit un processus bien documenté. Un nuage de gaz, principalement de l’hydrogène, s’effondre sous l’effet de la gravité pour former un noyau dense qui se transforme progressivement en protoétoile. Pendant cette phase, une grande quantité de matière est attirée vers la protoétoile, ce qui la fait chauffer et briller. Ce phénomène est accompagné de la formation d’un disque d’accrétion autour de l’étoile naissante.
Cependant, à mesure que la protoétoile se développe, elle émet une quantité importante d’énergie sous forme de rayonnement. Ce rayonnement, appelé rétroaction radiative, a pour effet de repousser le gaz environnant, réduisant la quantité de matière disponible pour nourrir l’étoile et limiter ainsi sa croissance. En outre, les étoiles en formation génèrent également des champs magnétiques puissants qui interagissent avec la matière environnante, ce qui entrave encore davantage la croissance de l’étoile. Les jets produits par ces champs magnétiques éjectent du gaz, ce qui dissipe encore l’énergie nécessaire à l’accumulation de matière.
Dans le cas des étoiles modernes, ces mécanismes sont bien compris. Toutefois, jusqu’à récemment, on pensait que ces processus ne jouaient qu’un rôle mineur dans la formation des étoiles primitives de population III, car ces étoiles étaient censées être capables de croître sans ces limites imposées par la rétroaction radiative.
L’impact des champs magnétiques
Des recherches récentes ont bouleversé cette vision. Une étude menée à l’observatoire de Leyde vient en effet de mettre en lumière un aspect inattendu de la formation des étoiles primitives. En utilisant des simulations numériques détaillées de la formation des étoiles de population III, des chercheurs ont découvert que les champs magnétiques étaient un facteur beaucoup plus important que ce que l’on imaginait. En effet, ces champs magnétiques limitent la croissance des étoiles de population III avant même que les effets de rétroaction radiative ne se manifestent.
Les simulations ont montré que la masse maximale des étoiles Pop III était en réalité bien plus faible que ce qui avait été prévu, soit environ 65 masses solaires contre 120 masses solaires dans les modèles antérieurs, qui ne prenaient pas en compte l’influence des champs magnétiques. Cette découverte signifie que malgré leur énorme potentiel de croissance, les étoiles primitives étaient freinées dans leur développement dès les premières étapes de leur formation par ces champs magnétiques.

Pourquoi les champs magnétiques limitent la taille des étoiles
La clé de cette découverte réside dans l’interaction complexe entre gravité et magnétisme. Lorsqu’une étoile naît, sa gravité attire de plus en plus de matière, ce qui augmente sa masse. Cependant, les champs magnétiques interfèrent avec ce processus en repoussant une partie de la matière, ce qui empêche l’étoile de croître indéfiniment. Ces champs magnétiques ont un effet inhibiteur sur le gaz et la poussière qui entourent l’étoile, ce qui réduit la quantité de matière qui peut tomber dans l’étoile en formation. Cette dynamique se produit bien avant que la rétroaction radiative, liée à l’émission de lumière et d’énergie par l’étoile en formation, n’entre en jeu pour freiner sa croissance.
Les chercheurs ont également observé que dans les simulations qui incluaient des champs magnétiques, la croissance des étoiles de population III se faisait plus lentement et était accompagnée de la formation d’amas d’étoiles. Cette dynamique est très différente de celle observée dans les simulations sans champs magnétiques où l’étoile principale continue de croître rapidement jusqu’à atteindre une masse plus importante.
Des conséquences et implications pour l’astronomie moderne
Cette découverte marque un tournant important dans notre compréhension de l’Univers primitif. Si les étoiles de population III étaient effectivement limitées à une masse de 65 masses solaires, cela pourrait avoir des implications majeures sur notre vision de la façon dont le carbone et d’autres éléments chimiques ont été créés et distribués dans le cosmos. Cela peut aussi expliquer pourquoi certaines structures cosmiques, comme les galaxies primitives, ont évolué de la manière dont nous les observons aujourd’hui.
Les résultats obtenus ouvrent également la voie à de nouvelles recherches pour mieux comprendre les premiers stades de la formation des étoiles et leur influence sur l’évolution de l’Univers. Les astronomes devront désormais prendre en compte ces nouveaux facteurs pour affiner leurs modèles cosmologiques et mieux comprendre l’histoire de la matière et de l’énergie.