Pourquoi les États-Unis ont-ils rejeté le système métrique ?

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Crédits : _Alicja_ / pixabay

Derrière l’insistance des États-Unis à vouloir parcourir des miles, ou à boire du café en onces se cache un sentiment de patriotisme, une étonnante stabilité politique, et une méfiance historique envers les Français.

La façon dont nous choisissons de mesurer les choses peut paraître anodine. En réalité, elle structure la façon dont nous vivons et interagissons les uns avec les autres. Vous ne pouvez en effet pas faire de comparaisons ni forger une réelle économie sans fixer des normes bien définies. Pour faciliter le commerce et les rapprochements entre pays, il y a plusieurs siècles, des élites ont donc proposé un système de mesure décimal. Mais tout le monde ne s’y est pas soumis.

La naissance du système métrique

Avant le 18e siècle, les systèmes différaient de ville en ville. On estime qu’il y avait pas moins de 250 000, rien qu’en France. La taille d’un champ, par exemple, pouvait être mesurée en nombre de jours nécessaires pour récolter. Certaines terres étaient également mesurées en « boisseaux », pour quantifier la quantité de semences nécessaire pour semer.

Un « devoir » de normalisation des mesures s’est ensuite peu à peu immiscé dans les esprits à mesure que les gens commençaient à voyager.

Dans les années 1790, le gouvernement parisien a finalement demandé à l’Académie française des sciences de mettre au point un nouveau système de mesure logique. On décide alors qu’un mètre devrait être un dix millionième d’un quadrant de la circonférence de la Terre – c’est-à-dire la ligne allant du pôle Nord à l’équateur. Tout se divise ensuite en décimales (il y a dix millimètres dans un centimètre, mille grammes dans un kilogramme, etc.).

Notez qu’en 1960, le mètre a changé de définition pour prendre comme base de calcul la radiation orangée émise par l’isotope 86 du krypton. Il a de nouveau évolué en 1983. On le définit désormais comme la distance parcourue par la lumière dans le vide dans un intervalle de 1/299.792.458 secondes.

Ces nouvelles normes ont toutefois mis du temps à intégrer les esprits. Les choses ont en réalité commencé à évoluer durant le chaos qui suivit la Révolution française de 1789. Lorsque Louis XVI succomba à la guillotine, ceux qui le remplacèrent faisaient en effet partie du mouvement des Lumières. Et ces nouveaux dirigeants, fervents partisans du système métrique, pensèrent que la tête du Roi devait être pesée en kilos.

Les États-Unis, en tant que « république soeur », étaient alors censés suivre l’exemple. Alors pourquoi n’ont-ils pas bougé d’un pouce ?

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« La prise de la Bastille ». Crédits : Jean-Pierre Houël/Bibliothèque nationale de France

Plusieurs facteurs

En 1790, George Washington estima lui aussi nécessaire de mettre en place une certaine uniformité dans la monnaie et les mesures. L’argent a été décimalisé avec succès, mais les anciens systèmes de mesure ont résisté. La faute au système britannique, trop enraciné dans la psyché nationale.

Mais tous n’ont pas abandonné. En 1793, le secrétaire d’État américain Thomas Jefferson, qui croyait également en ce nouveau système métrique, fit en effet appeler un scientifique français du nom de Joseph Dombey. Le but : présenter aux Américains le nouveau poids standard.

Le chercheur prit alors la mer avec son petit cylindre en cuivre d’un kilogramme, direction le Nouveau Monde. Mais le sort en décida autrement. Le navire de Dombey, poussé par une tempête, se présenta devant un bateau de pirates britanniques qui demandèrent une rançon. Joseph Dombey mourra finalement en tant que prisonnier, et le kilogramme n’atteindra jamais l’Amérique.

La résistance américaine témoigne également d’un véritable sentiment patriotique, exacerbé par le profil d’un « ennemi commun ». En effet, tous les Américains n’étaient pas aussi francophiles que Jefferson. C’est aussi pourquoi les idées de ces élites, jugées arrogantes, ne trouvèrent pas écho de l’autre côté de l’Atlantique.

Un autre facteur qui va à l’encontre du système métrique aux États-Unis est la relative stabilité politique du pays.

Ken Alder, de la Northwestern University (Illinois) et auteur de The Measure of All Things: The Seven-Year Odyssey and Hidden Error That Transformed the World (2003), souligne en effet que la refonte complète d’un tel système de mesure nécessite un peu d’agitation pour que les perturbateurs tirent leur épingle. «Nous sommes arrivés près de la guerre civile, explique-t-il. Mais le conflit n’était pas suffisamment subversif pour autoriser ce changement».

De nos jours, aux États-Unis, le système métrique a toujours ses fervents opposants, même si de plus en plus de personnes conviennent qu’il serait temps, finalement, de s’uniformiser avec le reste du monde. Mais le chercheur prévient : celles et deux qui souhaiteraient abandonner les miles et les onces doivent garder à l’esprit que ce type de transition s’accompagne souvent d’un changement politique plus radical.