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Crédits : Maximusnd/istock

Pourquoi la cosmologie est en crise

Les galaxies s’éloignent de nous, mais à quel rythme ? Cette question autrefois résolue avec une relative confiance est aujourd’hui au cœur d’une crise qui bouleverse la cosmologie moderne. La tension de Hubble, un désaccord persistant entre deux méthodes majeures pour mesurer l’expansion de l’Univers, remet en effet en question certains des fondements les plus solides de notre compréhension de l’Univers. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les implications de ce problème ? Et surtout, comment les scientifiques tentent-ils de résoudre cette crise ? 

Qu’est-ce que la constante de Hubble ?

La constante de Hubble est une pierre angulaire de la cosmologie moderne. Introduite à partir des travaux révolutionnaires d’Edwin Hubble dans les années 1920, cette mesure quantifie la vitesse à laquelle l’Univers est en expansion. Plus précisément, elle relie la vitesse à laquelle une galaxie s’éloigne de nous (mesurée grâce à son décalage vers le rouge [ou redshift]) à sa distance par rapport à la Terre. En termes simples, la constante de Hubble exprime une règle universelle : plus une galaxie est éloignée, plus elle semble s’éloigner rapidement.

Avant les travaux d’Hubble, l’Univers était perçu comme statique et immuable, une vision largement influencée par les idées newtoniennes. Cependant, grâce aux observations du décalage vers le rouge des galaxies, Hubble a démontré qu’il n’est en réalité pas figé : il est en expansion. Cette découverte a bouleversé notre compréhension du cosmos en nous faisant passer d’un modèle statique à un autre en évolution constante. La constante de Hubble a ainsi ouvert la voie à une série de questionnements fondamentaux : d’où vient cette expansion ? Depuis combien de temps dure-t-elle ? Et surtout, qu’en est-il de son avenir ? Ces interrogations sont au cœur des recherches cosmologiques depuis près d’un siècle.

Les deux méthodes de mesure : quand les chiffres ne collent pas

Pour mesurer la constante de Hubble, les cosmologistes utilisent deux approches principales. La première méthode repose sur des objets appelés bougies standards, comme les supernovae de type Ia et les variables Céphéides. Ces objets ont une luminosité intrinsèque prévisible, ce qui permet de déterminer leur distance en comparant leur luminosité apparente. En combinant ces distances avec le décalage vers le rouge de leur lumière (dû à l’expansion de l’univers), les scientifiques estiment la constante de Hubble.

Cette méthode donne une valeur d’environ 73,2 km/s/Mpc. Cela signifie qu’à chaque fois que vous observez une galaxie située à une distance de un mégaparsec (environ 3,26 millions d’années-lumière) de la Terre, elle s’éloigne de nous à une vitesse de 73,2 kilomètres par seconde en raison de l’expansion de l’univers. Par exemple, une galaxie située à dix mégaparsecs s’éloignerait à une vitesse de 732 km/s, tandis qu’une galaxie à 100 mégaparsecs s’éloignerait à 7 320 km/s.

L’autre approche utilise le rayonnement de fond cosmologique (CMB), la première lumière émise par l’Univers, observée 379 000 ans après le Big Bang. En appliquant le modèle standard de la cosmologie, qui inclut la matière noire, l’énergie noire et la relativité générale, les scientifiques prédisent une constante de Hubble de 67,4 km/s/Mpc.

Le problème est que comme vous pouvez le constater, ces deux méthodes, bien que précises et fiables, ne produisent pas les mêmes résultats. Cette tension de Hubble est ainsi devenue l’une des plus grandes énigmes de la cosmologie contemporaine, allant jusqu’à remettre en question la validité du modèle standard de la cosmologie qui avait permis jusqu’ici d’expliquer avec succès de nombreux phénomènes.

L’amas de Coma et les nouvelles découvertes

Une étude récente sur l’amas de galaxies Coma, un regroupement massif de galaxies relativement proche de la Terre, a ajouté de l’huile sur le feu. Les chercheurs ont utilisé des supernovae de type Ia pour mesurer la distance précise de cet amas. D’après ces mesures, l’amas de Coma se trouve à environ 321 millions d’années-lumière. Cependant, selon les prévisions du modèle cosmologique standard basé sur les données du rayonnement fossile du fond cosmique (CMB) et la constante de Hubble telle qu’estimée à partir de ce modèle, cet amas devrait se trouver à une distance plus grande, soit environ 359 millions d’années-lumière.

Cette différence d’environ 38 millions d’années-lumière entre les observations et les prévisions ne peut pas être expliquée par des erreurs instrumentales ou des approximations. Elle suggère un écart réel et significatif entre les mesures locales (par des bougies standards) et les prédictions basées sur le modèle standard de l’Univers. Cela renforce l’idée qu’il pourrait exister une faille dans notre compréhension actuelle de l’expansion cosmique ou que des phénomènes inconnus influencent nos mesures.

En d’autres termes, cette anomalie démontre que la tension de Hubble n’est pas un simple problème méthodologique, mais bien une indication d’un désaccord fondamental entre différentes façons de mesurer l’Univers.

cosmologie constance de Hubble
L’amas de Coma, vu par le télescope spatial Hubble. Crédits : NASA/ESA/Hubble Heritage Team (STScI/AURA)/D. Carter (Université John Moores de Liverpool)/Coma HST ACS Treasury Team

Les hypothèses pour expliquer la crise

Face à la tension croissante entre les différentes méthodes de calcul de la constante de Hubble, plusieurs hypothèses émergent pour tenter d’expliquer cette crise cosmologique. Une première piste envisage que les écarts résultent d’erreurs ou de biais dans les mesures. Les méthodes utilisées, bien que robustes, pourraient être affectées par des incertitudes systématiques ou des paramètres encore mal compris. Par exemple, la calibration des bougies standards pourrait comporter des marges d’erreur non détectées. Cependant, à mesure que les données s’accumulent et que les mesures indépendantes confirment la tension, cette hypothèse semble de moins en moins plausible.

Une autre explication plus intrigante réside dans l’idée que l’Univers primitif pourrait contenir des éléments ou phénomènes non prévus par le modèle standard de la cosmologie. Par exemple, il pourrait y avoir eu une phase transitoire qui impliquerait une énergie sombre supplémentaire ou une injection d’énergie. L’existence de particules hypothétiques, comme les axions, souvent évoquée dans le cadre de la matière noire, pourrait également influencer l’expansion cosmique de manière inattendue. Ces hypothèses ouvrent la porte à des formes de nouvelle physique au-delà des modèles actuels.

Enfin, certains chercheurs remettent en question les fondements mêmes de la relativité générale, la théorie clé d’Einstein qui sous-tend le modèle cosmologique. Des modifications aux lois de la gravité pourraient expliquer les divergences observées et offrir des perspectives révolutionnaires sur la manière dont l’univers évolue. Ces théories alternatives restent toutefois spéculatives et nécessitent des validations supplémentaires.

Chacune de ces pistes soulève en tout cas des questions fondamentales sur la structure et l’évolution de l’Univers, ce qui rend cette crise d’autant plus fascinante pour la communauté scientifique.

Pourquoi cette crise est aussi une opportunité

Malgré les défis qu’elle pose, la crise actuelle en cosmologie peut être perçue comme une opportunité inestimable pour la science. L’histoire montre en effet que les périodes de doute ou de contradiction dans les modèles établis ont souvent conduit à des avancées révolutionnaires.

Premièrement, la tension de Hubble pourrait permettre de révéler des aspects totalement inconnus de l’Univers. Si elle trouve sa source dans des phénomènes que le modèle standard n’explique pas, cela ouvrirait la voie à une nouvelle ère pour la physique fondamentale. Par exemple, des découvertes liées à l’énergie sombre ou à des particules exotiques comme les axions pourraient remodeler notre compréhension des forces qui gouvernent le cosmos. Ces percées pourraient également éclairer d’autres mystères, comme la nature de la matière noire ou la formation des structures à grande échelle.

Deuxièmement, cette crise met en avant l’importance d’une collaboration internationale sans précédent. Les scientifiques du monde entier unissent leurs efforts pour rassembler des données et tester de nouvelles théories. Des instruments révolutionnaires comme le spectrographe DESI, conçu pour cartographier la distribution des galaxies, ou le télescope spatial James Webb, qui observe les premières lumières de l’Univers, jouent un rôle clé. D’autres projets en cours de développement, comme le télescope géant ELT (Extremely Large Telescope), viendront enrichir ces efforts.

Enfin, cette quête scientifique dépasse le cadre des laboratoires et inspire une nouvelle génération de chercheurs à relever les grands défis de la cosmologie. La tension de Hubble n’est pas seulement un problème à résoudre, mais un tremplin pour explorer des territoires inconnus et réévaluer les fondements mêmes de notre compréhension de l’univers.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.