Pourquoi les humains n’ont pas de queue ? La faute à la génétique, selon une étude

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A l’instar de la plupart des vertébrés actuellement, les ancêtres communs des humains et des primates avaient une queue. D’ailleurs, les primates modernes (singes, lémurs, etc.) en ont toujours bel et bien une. Néanmoins, ce n’est pas le cas du côté des humains et des grands singes (nos proches cousins, tels que les chimpanzés ou les bonobos). Pendant très longtemps, les chercheurs se sont demandé quand cette divergence avait eu lieu, pourquoi et comment elle s’était produite.

Rappelons que lorsque l’on est encore des embryons, nous possédons effectivement une queue. Après les premières étapes du développement embryonnaire, autour de la huitième semaine, elle disparaît toutefois totalement, ne nous laissant finalement que le coccyx. Il arrive certes rarement que des bébés naissent avec une pseudo-queue composée de muscles, de nerfs, de vaisseaux sanguins et de tissus conjonctifs, mais sans os ni cartilage. Ces pseudo-queues et le coccyx sont cependant les seuls témoins de notre ascendance avec des ancêtres anciens munis de queue. Mais alors, pourquoi n’en avons-nous pas ?

D’après une nouvelle étude publiée le 28 février dans la revue Nature, c’est il y a 20 ou 25 millions d’années que l’existence sans queue des hominidés pourrait avoir pris un tournant sous l’impulsion d’une altération génétique charnière.

Pas de queue chez les humains : l’œuvre de la génétique

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Crédits : Kagenmi/iStock

Quand il était plus jeune, Bo Xia, généticien doctorant au Broad Institute of MIT and Harvard (États-Unis), s’étonnait que presque tous les animaux aient une queue, mais pas lui. Ce n’est toutefois qu’après une blessure récente au coccyx qu’il se décide enfin à mener des investigations pour mieux comprendre cette différence. Avec son équipe, il a ainsi analysé près de 140 gènes impliqués dans le développement de la queue chez les animaux. Les chercheurs ont plus particulièrement mené une analyse comparative des génomes de six primates incluant notamment les hommes et quinze espèces de singes pour essayer d’identifier les différences clés.

Ils ont ainsi pu identifier une mutation vieille de 25 millions d’années sur Tbxt, un gène déterminant pour la formation de la queue. En effet, en comparant les séquences d’ADN chez les babouins, les macaques rhésus et autres singes à queue avec celles des primates sans queue (humains, chimpanzés, etc.), ils ont remarqué que ces derniers avaient un fragment d’ADN en plus que l’on ne retrouvait que dans le groupe sans queue : AluY. Ils en ont ainsi conclu qu’aussi mineure soit-elle, cette modification était à l’origine des changements anatomiques observés.

Une expérience pour tester cette théorie

Ils décidèrent toutefois de mener des expériences pour confirmer leur théorie. Pour cela, ils ont eu recours à la technique CRISPR-Cas9, un outil d’édition génomique qui permet de modifier du matériel génétique, et des embryons de souris en appliquant justement différentes modifications sur le gène identifié. Certaines souris sont alors nées avec des queues plus courtes ou pas de queue du tout (voir ci-dessous). Toutefois, les scientifiques se montrent pour l’heure prudents. Même si les modifications ont bien eu une incidence sur la longueur de la queue des souris, ils insistent sur le fait que cela n’a pas pour autant eu l’effet d’un bouton marche-arrêt et ils estiment donc que d’autres gènes pourraient avoir conditionné l’absence de queue.

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Les résultats sur les souris avec l’expérience sur Tbxt. Crédits : Bo Xai et Coll./Nature, 2024

Pourquoi cette mutation s’est-elle produite ? En tout cas, ses effets ne sont pas tous positifs…

Les humains sans queue, un avantage évolutif ?

Certains spécialistes pensent que cela pourrait avoir apporté un avantage aux primates sans queue sur le plan de l’évolution. Toutefois, cette hypothèse rencontre plusieurs limites. Tout d’abord, la queue apporte aussi aux singes tout un tas d’avantages, que ce soit en termes de locomotion, de communication et plus globalement de survie. Par ailleurs, la présente étude a observé des cas d’anomalies du tube neural, notamment le spina bifida, chez les souris modifiées en laboratoire. Or, il s’agit d’une anomalie que l’on retrouve aussi chez l’humain et qui pourrait donc avoir pour origine cette mutation. Ce ne serait toutefois pas la première fois qu’une mutation avantageuse sur le plan évolutif aurait un résultat annexe négatif. Par exemple, des travaux ont récemment prouvé que les variants génétiques qui nous aident à combattre la pneumonie nous prédisposent à la maladie de Crohn.

Une étape essentielle avant la marche sur deux pieds ?

D’autres scientifiques pensent aussi qu’il s’agissait d’une première étape préalable à la bipédie, survenue avant même que nos ancêtres ne vivent plus dans les arbres. C’est notamment l’avis de Rick Potts, le directeur du Smithsonian Institution’s Human Origins Project. Il rappelle à ce titre que certains primates sans queue comme les orangs-outangs et les gibbons vivent encore dans les arbres, mais qu’ils se meuvent d’une manière tout à singulière en comparaison avec les singes à queue, notamment en se balançant entre les branches et en s’accrochant tout en se tenant majoritairement à la verticale. Néanmoins, comme l’affirme Itai Yanai, coauteur de l’étude et biologiste à l’Université de New York, la seule manière d’en être sûrs « serait d’inventer une machine à remonter le temps ».

évolution humaine bipédie
Crédits : Tiziano Cremonini/iStock

En outre, comme le rappelle Gabrielle Russo, de l’Université Stony Brook, à New York, des recherches menées au début des années 1900 avaient fait le lien entre la perte de la queue et des changements dans les muscles humains qui les ont aidés à se tenir à la verticale. Toutefois, les changements dans la posture et l’apprentissage de la marche sur deux pieds ne sont survenus que plusieurs millions d’années plus tard. Difficile donc d’imaginer que cette nouvelle étude apporte un réel éclairage sur ces traits en particulier. D’après elle, de futures recherches devraient également s’intéresser aux autres mammifères à queue courte ou sans queue (koala, ours, capybara…) pour voir s’ils ont subi la même mutation.

Des implications fortes pour la recherche

Dans tous les cas, cette étude (à lire ici) enrichit non seulement notre compréhension de l’évolution humaine, mais invite aussi à une réévaluation de notre approche des maladies et anomalies génétiques, avec une implication possible pour la santé humaine et la recherche dans ce domaine. Il nous montre surtout à quel point l’évolution humaine, souvent présentée comme linéaire et progressive, est en réalité un processus bien plus complexe et dynamique que nous le pensions.