Pourquoi certains grands singes se donnent volontairement le tournis

grands singes tournis
Crédits : 41330/Pixabay

En analysant des vidéos en ligne, des chercheurs se sont aperçus que certains grands singes se donnaient volontairement le tournis, le plus souvent au moyen d’une corde. Ces comportements pourraient être utilisés pour comprendre quand les humains ont développé le désir d’accéder à des états mentaux modifiés en manipulant leur perception de la réalité. Les détails de l’étude sont publiés dans la revue Primates.

Les humains se distinguent par leur propension à s’auto-induire des états d’esprit modifiés. L’archéologie, l’histoire et l’ethnographie montrent que ces activités ont eu lieu depuis les débuts de la civilisation. Cependant, leur rôle dans l’émergence et l’évolution de l’esprit humain lui-même sont encore débattus.

Les moyens par lesquels nous modifions activement notre expérience de soi et de la réalité dépendent fréquemment des substances psychoactives, mais il n’est pas certain que les psychédéliques ou d’autres drogues aient fait partie de l’écologie ou de la culture des ancêtres préhumains. Se pourrait-il que nos ancêtres et cousins aient usé de procédés plus simples et accessibles ?

Un regard sur les grands singes

Pour le savoir, des chercheurs de l’Université de Warwick et de l’Université de Birmingham se sont tournés vers les grands singes. Ces derniers étant de moins en moins utilisés dans le cadre de la recherche médicale, l’équipe s’est tournée vers les données YouTube accessibles au public pour déterminer si certaines espèces s’adonnaient au jeu de la corde tournante (vous y avez probablement joué quand vous étiez petit). L’intérêt des chercheurs a été piqué par une vidéo virale d’un gorille nommé Zola tournant sur lui-même dans une piscine, partagée par le zoo de Dallas en 2018.

 » La rotation modifie notre état de conscience. Elle perturbe notre réactivité et notre coordination corps-esprit, ce qui nous rend malades, étourdis et même exaltés comme dans le cas des enfants jouant dans des manèges « , précise le Dr Lameira, principal auteur de l’étude.  » Ce que nous voulions essayer de comprendre, c’est si la rotation peut être étudiée comme un comportement primordial que les ancêtres humains auraient pu adopter de manière autonome pour modifier leur état de conscience « .

Les chercheurs sont partis du postulat que si tous les grands singes recherchent activement et volontairement ces états d’étourdissements, il est fort probable que nos ancêtres l’aient également fait.

Des étourdissements délibérés

Pour ces travaux, l’équipe a examiné une quarantaine de vidéos comprenant des séquences avec des cordes. Les gorilles, les chimpanzés, les orangs-outans et les bonobos se sont visiblement tous adonnés au jeu. La session de rotation moyenne était de 5,4 tours et la vitesse de rotation moyenne était de 1,43 tour par seconde. La session la plus longue a duré vingt-huit révolutions et la rotation unique la plus rapide était de cinq révolutions en une seconde.

Un point important à retenir ici est que les singes tournaient assez vite pour induire un état de conscience altéré. Les chercheurs ont en effet expérimenté ces mêmes rotations et ont eu du mal à poursuivre dès la troisième série de rotations aux mêmes vitesses, tout comme les grands singes. Il n’empêche que ces derniers poursuivaient malgré tout, au point de risquer de perdre l’équilibre et de tomber. « Cela indiquerait que les primates continuent délibérément de tourner, bien qu’ils commencent à ressentir les effets des étourdissements« , note Dr Marcus Perlman, coauteur de ces travaux.

Pour les auteurs, il est donc possible, au regard de ces images, que nos ancêtres aient également opéré de manière similaire pour leurs étourdissements auto-induits, soit parce que des substances psychoactives n’étaient pas disponibles dans leur environnement ou parce que ces individus  n’avaient pas les connaissances techniques et culturelles pour les produire ou les transformer.

Les scientifiques disent que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les motivations de ces primates à adopter ces comportements. Il pourrait y avoir un lien avec la santé mentale, les primates observés étant pour la plupart des individus captifs susceptibles de s’ennuyer. Il pourrait donc simplement ne s’agir que d’un comportement de jeu visant à stimuler leurs sens d’une manière ou d’une autre.