L’espérance de vie varie d’une personne à une autre en raison de nombreux facteurs. Les gènes influencent par exemple la prédisposition aux maladies. À cela s’ajoutent par ailleurs l’accès aux soins de santé, la qualité de l’alimentation, le niveau de stress et l’exposition aux polluants environnementaux qui jouent aussi un rôle crucial. Les conditions socio-économiques affectent également le mode de vie, l’éducation et la qualité des soins médicaux reçus. Enfin, les choix personnels comme l’exercice, le tabagisme et la consommation d’alcool impactent également la longévité. Toutefois, la science a encore du mal à expliquer exactement pourquoi les femmes en particulier vivent plus longtemps que les hommes (85,7 contre 80 ans en 2023 en France et 5 % plus longtemps dans le monde en moyenne).
Des études antérieures ont bel et bien fourni quelques pistes. Biologiquement, les hormones féminines comme les œstrogènes offriraient par exemple une protection cardiovasculaire. Comportementalement, les hommes seraient en outre plus sujets aux conduites à risque (avec accidents à la clé) et au suicide, et adopteraient souvent des comportements moins sains. Les femmes seraient aussi apparemment plus enclines à consulter des professionnels de santé et à entretenir des liens sociaux solides, ce qui favoriserait ainsi une meilleure santé mentale et physique.
Néanmoins, les scientifiques continuent d’investiguer les facteurs influant sur ces différences intrigantes face à la longévité avec peut-être à la clé des pistes pour une vie plus longue en meilleure santé pour les deux sexes. Et à en croire des chercheurs japonais de l’Université d’Osaka, un petit poisson d’eau douce pourrait avoir permis de percer les mystères de cette disparité.
Pourquoi les femmes vivent plus longtemps que les hommes : ce qu’un poisson peut nous apprendre
À la base, l’équipe pensait qu’un mécanisme biologique comparable chez tous les vertébrés pourrait influencer les écarts de durée de vie entre mâles et femelles ou entre hommes et femmes. Elle a donc basé ses recherches sur l’une des différences les plus évidentes entre les deux sexes : les cellules germinales qui se transforment ensuite en spermatozoïdes chez les mâles vertébrés ou en ovules chez les femelles vertébrées.
Des révélations inédites
Pour tester cette hypothèse, l’étude publiée dans la revue Science Advances le 12 juin 2024 s’intéresse au cas du killi turquoise ou poisson-taupe turquoise (Nothobranchius furzeri), un petit poisson belliqueux qui atteint sa maturité sexuelle en une quinzaine de jours et qui ne vit que quelques mois. En effet, comme l’explique Tohru Ishitani, l’auteur principal de l’étude qui est aussi professeur et biologiste à l’Université d’Osaka, « le processus de vieillissement chez le killifish est similaire à celui des humains, je ne pense donc pas que les humains soient nécessairement plus compliqués. […] Cette recherche sera un tremplin pour comprendre le contrôle du vieillissement chez l’homme ».

Dans le cadre de ces recherches dont l’équipe estime que les résultats sont transposables à l’humain, les scientifiques ont arrêté la production de cellules germinales chez les poissons-taupes turquoise pour voir si cela avait la moindre incidence sur le cycle de vie de ces animaux. Or, les résultats ne se firent pas attendre. L’expérience a en effet réduit la durée de vie des femelles d’environ 10 %, alors que la durée de vie des mâles a augmenté de 13 %, leur permettant finalement ainsi de combler leurs différences et d’afficher une espérance de vie comparable.
« Nous nous attendions à ce que l’élimination des cellules germinales prolonge la durée de vie des mâles et des femelles, mais cela ne prolonge que la durée de vie des mâles et raccourcit celle des femelles. C’était inattendu, mais nous avons réalisé que cette découverte pourrait [permettre de mieux comprendre, NDLR] les différences d’espérance de vie entre les sexes », conclut Tohru Ishitani.
Des observations étonnantes sur la santé des poissons
Outre des effets directs sur la longévité, ces recherches pointent d’autres effets en lien avec l’arrêt de la production de gamètes. Les fondules femelles subissaient alors des changements hormonaux (plus précisément moins de signalisation d’œstrogènes), ce qui avait pour effet d’augmenter le risque de maladie cardiovasculaire. A contrario, les mâles sans cellules germinales affichaient une musculature, une peau et des os en bien meilleure santé, un effet lié au fait que lorsqu’ils ne produisaient plus de spermatozoïdes, ils produisaient en revanche plus de vitamine D.
L’étude s’est ensuite poursuivie et a ainsi également permis de creuser le rôle joué par la vitamine D dans le vieillissement, et par extension dans l’espérance de vie. « Lorsque nous avons administré de la vitamine D active, nous avons constaté que la durée de vie des mâles et des femelles était considérablement prolongée », explique Tohru Ishitani. En effet, l’administration de cette vitamine s’est soldée par une augmentation de l’espérance de vie des poissons de 21 % chez les mâles et de 7 % chez les femelles. « Cela suggère que la signalisation de la vitamine D a des effets bénéfiques sur la santé dans tout le corps. Nos travaux suggèrent que la signalisation de la vitamine D pourrait influencer la longévité d’autres vertébrés, y compris l’homme », conclut le chercheur.

D’autres recherches seront toutefois nécessaires pour évaluer les effets de cette vitamine sur la longévité humaine. Cette étude apporte en tout cas des éléments supplémentaires pour mieux comprendre pourquoi les femmes et les femelles en général vivent plus longtemps que les mâles.
Pour plus d’information, vous pouvez consulter l’étude sur ce lien.
