Depuis l’annonce de son intention de développer une constellation Internet par satellite indépendante il y a dix-huit mois, l’Union européenne (UE) est confrontée à des défis et des retards considérables. Malgré une offre unique provenant d’un consortium de sociétés multinationales, les projets semblent s’engager dans des eaux troubles. Pourquoi ?
Un projet à l’arrêt en Europe
La constellation, baptisée Interconnectivité et Sécurité par Satellite (IRIS²), est destinée à rivaliser avec le service Internet par satellite de SpaceX, Starlink, pour fournir une connectivité et des communications sécurisées en Europe d’ici 2027. Une seule offre, émanant d’un consortium de sociétés multinationales comprenant Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space, avait alors émergé pour construire, lancer et déployer le réseau de quelques centaines de satellites depuis l’annonce de ce projet il y a dix-huit mois.
Cependant, la Commission européenne a récemment reporté l’attribution du contrat à ce consortium, sans forcément en préciser les raisons. Un rapport récent du Handelsblatt allemand nous permet d’y voir un peu plus clair.
Tout d’abord, le coût estimé du projet a doublé, passant de six à douze milliards d’euros. Mais surtout, le projet met en lumière les tensions persistantes entre l’Allemagne et la France en matière de politique spatiale européenne. Le rapport cite en effet une lettre écrite par le ministre fédéral allemand de l’Économie et de l’Action climatique, Robert Habeck, à Thierry Breton, président de la Commission européenne, en mars. Dans sa lettre, le premier exhorte au second à ne pas prendre de « décisions hâtives » concernant le projet. Il demande même à ce que sa planification soit entièrement réinitialisée, mais pourquoi ?
Le « Starlink européen » jugé trop favorable à la France
Concrètement, l’allemand Robert Habeck ne remet pas en question la nécessité d’un réseau de communications souverain. Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’Europe a en effet pris conscience de l’intérêt d’un Internet par satellite sécurisé. Le problème est que contrairement à SpaceX, le continent ne dispose pas d’une fusée réutilisable capable d’enchaîner les vols ni de la capacité de construire rapidement des centaines de satellites.
Bien sûr, la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne investissent conjointement dans ce projet. Néanmoins, la constellation IRIS² est censée être un partenariat public-privé. Il est donc prévu que des sociétés spatiales investissent également pour bénéficier ensuite de la vente de services de communication. Cela fait donc beaucoup d’acteurs impliqués.
Le problème, selon Habeck et derrière lui l’Allemagne, est que la plupart de ces maîtres d’œuvre sont basés en France ou liés à la nation. Visiblement, ça ne passe pas, au point de demander la suspension de l’appel d’offres.
« L’enjeu est trop important pour prendre à la hâte des décisions à haut risque et aux conséquences négatives massives pour IRIS² et le programme spatial de l’UE », justifie en effet Robert Habeck dans sa lettre.
Bien que la concurrence entre la France et l’Allemagne dans le domaine des vols spatiaux ne date pas d’hier, il s’agit d’une manière de faire inédite en Europe.
Il n’est vraiment pas surprenant d’essuyer des retards dans la constellation IRIS² et de probables dépassements de coûts. Les constellations Internet sont en effet compliquées à mettre en œuvre et l’Europe doit surmonter plusieurs obstacles. Cependant, le fait d’avoir tant d’acteurs impliqués n’arrange évidemment pas les choses. Et tout le monde veut sa part du gâteau. Tout cela finira probablement par être réglé, mais une chose est certaine : une constellation européenne souveraine d’Internet par satellite ne verra probablement pas le jour avant la fin de cette décennie ni à bas prix.