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Pourquoi des avions vont larguer des milliards de mouches dans le sud des États-Unis

Dans le sud des États-Unis et au Mexique, une bataille silencieuse mais cruciale se joue contre un ennemi redoutable : la lucilie bouchère du Nouveau Monde, un parasite carnivore dont les larves s’attaquent aux animaux vivants, provoquant des dégâts dévastateurs. Face à cette menace, le ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) déploie une arme surprenante et innovante : le largage massif de mouches mâles stériles. Cette stratégie de lutte biologique, basée sur un principe simple mais efficace, a déjà permis d’éradiquer ce parasite dans le passé, et aujourd’hui elle est plus que jamais d’actualité.

Un parasite mortel : la lucilie bouchère du Nouveau Monde

La lucilie bouchère du Nouveau Monde (Cochliomyia hominivorax) est une mouche dont les larves, appelées asticots, pondus sur les plaies ouvertes ou les muqueuses d’animaux à sang chaud, s’enfoncent dans la chair vivante. Ces asticots carnivores provoquent des blessures profondes, souvent fatales pour leurs hôtes. Le parasite ne se limite pas au bétail — il menace aussi la faune sauvage, les animaux domestiques, et dans de rares cas, l’homme.

Ce parasite est si redouté que son nom scientifique signifie littéralement « mangeur d’hommes ». En l’absence de contrôle, une infestation peut rapidement décimer un élevage. Michael Bailey, président élu de l’American Veterinary Medicine Association, rappelle l’urgence de la situation : « Un bovin de mille livres peut mourir de cela en deux semaines. »

Une stratégie de lutte biologique vieille de plusieurs décennies

Pour contrer cette menace, les méthodes classiques comme les pesticides se heurtent à des limites environnementales et sanitaires. Depuis les années 1960, l’USDA utilise une stratégie innovante et écologique : la technique des insectes stériles (TIS).

Cette méthode repose sur l’élevage en laboratoire de millions de mouches mâles NWS, qui sont stérilisées par irradiation. Ensuite, elles sont larguées dans les zones touchées, où elles s’accouplent avec les femelles sauvages. Ces unions n’engendrent aucune descendance, ce qui fait diminuer progressivement la population du parasite. Cette technique a permis d’éliminer efficacement la mouche NWS des États-Unis entre 1962 et 1974, avec plus de 94 milliards de mouches stériles larguées.

Après avoir contenu le parasite jusqu’au Panama en 2000, le ravageur a connu des résurgences sporadiques, notamment en Floride en 2017. Aujourd’hui, face à une nouvelle avancée vers le nord depuis le Mexique, cette méthode fait son grand retour.

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La lucilie bouchère du Nouveau Monde. Crédits : Dinar Bud/istock

La lutte reprend de plus belle au Mexique et au Texas

Des relevés récents ont confirmé que la mouche NWS progresse vers le nord, avec des populations détectées aussi loin que les états mexicains d’Oaxaca et Veracruz, à seulement 1 100 kilomètres de la frontière américaine. Pour éviter une nouvelle invasion, l’USDA a suspendu les importations de bovins, chevaux et bisons dans certains ports du sud dès mai.

Parallèlement, l’agence a renforcé ses capacités en annonçant la construction d’une nouvelle usine de production de mouches stériles sur la base aérienne de Moore, dans le Texas, avec un budget de 8,5 millions de dollars. Cette installation pourra produire jusqu’à 300 millions de mouches stériles par semaine, en complément des centres existants au Mexique et au Panama. Ces efforts s’accompagnent d’une modernisation de l’usine mexicaine de Metapa, qui devrait fournir entre 60 et 100 millions de mouches supplémentaires chaque semaine.

Des premiers résultats encourageants, mais un défi persistant

Depuis la mise en place des mesures en mai, plus de 100 millions de mouches stériles ont été lâchées chaque semaine au Mexique. D’après un rapport publié fin juin, aucun nouveau foyer d’infection n’a été détecté, et la progression vers le nord semble stoppée pour le moment. Forts de ces résultats, les autorités ont commencé à rouvrir certains ports frontaliers au commerce du bétail début juillet.

Cette avancée témoigne de l’efficacité de la lutte biologique, une méthode qualifiée par les experts de « technologie exceptionnellement performante ». Edwin Burgess, chercheur à l’Université de Floride, souligne qu’il s’agit d’un exemple remarquable de la manière dont la science peut s’appliquer à des problèmes majeurs de santé animale et d’agriculture.

Cependant, le combat est loin d’être gagné. Avec le changement climatique, la température moyenne mondiale continue de grimper, créant un environnement favorable à l’expansion des espèces invasives comme la mouche NWS. Cette menace pourrait s’étendre plus au nord, menaçant la sécurité alimentaire, les écosystèmes et la santé publique.

Une solution durable à long terme

Face à ces enjeux, les experts insistent sur la nécessité d’investissements soutenus dans la production et la dispersion de mouches stériles. L’amélioration continue des infrastructures et des techniques de lutte biologique sera cruciale pour prévenir de futures invasions.

Cette histoire illustre comment des méthodes écologiques, respectueuses de l’environnement, peuvent offrir des alternatives efficaces aux pesticides chimiques, tout en protégeant la biodiversité et la santé des animaux.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.