Imaginez un monde où il serait possible de fabriquer l’ADN humain non pas en le lisant ou en le modifiant, mais en le créant entièrement à partir de zéro. Ce qui semblait relever de la science-fiction est désormais à portée de main grâce à un projet scientifique ambitieux et pionnier, baptisé SynHG. Mené par une équipe internationale de chercheurs et financé par la prestigieuse fondation Wellcome Trust, ce projet vise à concevoir un génome humain complet synthétisé chimiquement — une prouesse sans précédent qui pourrait révolutionner la médecine, la biotechnologie, et même notre compréhension de la vie elle-même.
Un projet aux promesses immenses… et aux questions éthiques complexes
La création d’ADN humain synthétique soulève autant d’espoirs que de controverses. Depuis des décennies, la communauté scientifique explore les mystères du génome humain, principalement par des méthodes d’analyse ou d’édition génétique. Mais synthétiser un génome humain entier ouvre une toute nouvelle ère : celle d’« écrire » la vie, de concevoir ses plans fondamentaux de A à Z.
Pourtant, cette démarche n’est pas sans générer d’importantes inquiétudes. Au tournant des années 2000, avec le succès du Projet Génome Humain et l’émergence d’outils puissants comme CRISPR, certains experts et citoyens ont tiré la sonnette d’alarme. La crainte d’un glissement vers une eugénie moderne — où l’on chercherait à « améliorer » l’espèce humaine par le biais de bébés sur mesure — a marqué les débats éthiques. Sans compter que notre compréhension des interactions complexes entre gènes et environnement reste encore imparfaite, laissant planer des doutes sur les impacts possibles à long terme de telles manipulations.
Une démarche rigoureuse et responsable
Conscients de ces enjeux, les chercheurs du projet SynHG ne se lancent pas tête baissée dans cette aventure. Ils ont mis en place un cadre éthique strict et transparent, avec un programme dédié — Care-full Synthesis — qui implique experts, responsables politiques, industriels, mais aussi représentants de la société civile à travers le monde.
Ce volet social vise à anticiper les questions éthiques, juridiques et sociétales dès le début des recherches, assurant ainsi une innovation responsable. L’idée est d’inclure diverses perspectives culturelles et géographiques, et de garantir un partage équitable des connaissances, pour que cette technologie serve le bien commun.
Des étapes progressives vers un objectif ambitieux
Le projet ne promet pas la synthèse complète du génome humain du jour au lendemain. Il s’agit d’un chantier de plusieurs décennies, où chaque étape est un défi scientifique majeur. La première tâche consiste à créer un chromosome humain entièrement synthétique — une étape fondamentale qui posera les bases des efforts à venir.
Cette démarche s’appuie sur des avancées en biologie synthétique, chimie de l’ADN, et biotechnologie, mais nécessite aussi de développer des outils et méthodes innovants capables de manipuler et assembler des molécules d’ADN à une échelle jamais vue auparavant.

Vers des applications aux multiples impacts
Si le projet SynHG réussit, ses retombées pourraient être immenses. En médecine, cela pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements personnalisés, à des thérapies cellulaires révolutionnaires, ou encore à des progrès dans la transplantation d’organes fabriqués sur mesure.
Au-delà du médical, la capacité à créer et modifier des génomes entiers pourrait également transformer l’agriculture et l’environnement. Par exemple, des plantes pourraient être conçues pour résister aux changements climatiques, assurant une meilleure sécurité alimentaire dans un monde en pleine mutation.
Mais surtout, cette recherche pourrait bouleverser notre compréhension fondamentale de la vie et de la santé. Comme l’explique Michael Dunn, directeur de la recherche chez Wellcome, « notre ADN détermine qui nous sommes et comment notre corps fonctionne ». En fabriquant ce code génétique de toutes pièces, les scientifiques espèrent mieux comprendre les mécanismes complexes qui gouvernent notre biologie et ouvrir des pistes encore inimaginables.
Une collaboration scientifique d’envergure mondiale
À la tête du projet se trouve le professeur Jason Chin, de l’Université d’Oxford, qui coordonne une équipe réunissant des spécialistes de plusieurs grandes universités britanniques, dont Cambridge, Manchester et l’Imperial College de Londres. Cette synergie d’expertises est indispensable pour relever les défis techniques et éthiques du projet.
Le programme Care-full Synthesis, dirigé par la professeure Joy Zhang de l’Université du Kent, travaille parallèlement à l’exploration des perceptions sociales et culturelles autour de cette avancée. Leur travail d’enquête dans plusieurs régions du monde permettra d’orienter les recherches vers des pratiques plus inclusives et adaptées aux besoins de diverses communautés.
Un nouveau chapitre pour la biologie humaine ?
Le projet SynHG incarne à la fois l’immense potentiel et les grandes responsabilités de la science contemporaine. En synthétisant l’ADN humain, les chercheurs ouvrent la porte à un monde où l’humain pourrait un jour « écrire » sa propre vie, avec toutes les promesses de santé et d’adaptation que cela implique. Mais cette avancée doit se faire avec prudence, éthique, et en gardant toujours à l’esprit l’impact social et moral.
Nous sommes peut-être à l’aube d’une révolution scientifique majeure — un futur où la biologie synthétique bouleversera nos savoirs et nos modes de vie. Reste à voir comment cette promesse sera accueillie, régulée, et partagée pour le bien de tous.
