Dans l’océan, la pollution sonore induite par l’Homme n’affecte pas que les animaux

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Crédits : Mimichaps/Wikipédia

Les herbiers marins n’ont peut-être pas d’oreilles, mais cela n’empêche pas la pollution sonore de causer de graves dommages aux autres structures de la plante, révèle une étude unique en son genre publiée dans Nature.

La pollution sonore des océans

Du trafic maritime aux opérations de forage, les humains font beaucoup de bruit dans l’océan. Au cours de ces dernières décennies, la mesure dans laquelle tout ce vacarme pouvait affecter les écosystèmes marins est devenue un sujet de préoccupation pour les biologistes. Sur la base des connaissances actuelles, il ne fait désormais aucun doute que la pollution sonore générée par les activités humaines peut introduire des risques sans précédent pour de nombreuses espèces.

Jusqu’à présent, les études se sont principalement concentrées sur les cétacés, les pinnipèdes et les poissons, connus pour posséder des organes auditifs. Cependant, des travaux récents ont souligné que les sons artificiels pouvaient également affecter les céphalopodes, les cnidaires et les crustacés. Ces derniers n’ont pas de récepteurs auditifs à proprement parler, mais développent des statocystes, des organes sensoriels utilisés pour l’équilibre et l’orientation.

« Cela a totalement changé notre vision et notre approche de la pollution sonore« , explique le bioacousticien Michel André, directeur du Laboratoire de bioacoustique appliquée à l’Université polytechnique de Catalogne (Espagne).

Ces travaux ont ainsi permis de comprendre que les sons générés par l’Homme pouvaient avoir des effets beaucoup plus étendus que prévu. Mais nous étions encore loin du compte.

Jusqu’à présent, aucune étude n’avait abordé la sensibilité au bruit des organismes marins sessiles, tels que les plantes, dont l’immobilité les rend pourtant très sensibles aux effets chroniques. Ces organismes marins ne possèdent par de statocystes mais des organes sensoriels spécialisés dans la perception de la gravité leur permettant de faire pousser leurs racines à travers les sédiments du fond marin.

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L’herbe marine Syringodium isoetifolium ployant sous la houle à la Réunion. Crédits : Philippe Bourjon

Les herbiers durement touchés

Compte tenu de ce manque de connaissance, le bioacousticien Michel André et son équipe se sont donc penchés sur le sujet. Dans le cadre de ces nouveaux travaux, les chercheurs se sont intéressés aux herbiers marins – qui se classent parmi les biomes les plus précieux pour la planète -, et plus précisément sur la Posidonie (Posidonia oceanica). Cette plante marine occupe entre 25 000 et 50 000 km2 des zones côtières de la Méditerranée et se développe dès les premiers mètres jusqu’à 40 m de profondeur.

Pour ces travaux, les chercheurs ont utilisé un haut-parleur afin d’exposer des herbiers à un mélange dynamique de sons artificiels avec des fréquences de 50 à 400 hertz, couvrant la gamme généralement associée à l’activité humaine dans l’océan. Après avoir exposé les plantes à deux heures de pollution sonore, l’équipe s’est ensuite appuyée sur des microscopes électroniques pour examiner les amyloplastes, les tiges souterraines qui stockent l’énergie sous forme d’amidon.

D’après ces travaux, les plantes ont effectivement essuyé des dommages physiques aggravés au cours des cinq jours suivants. Les niveaux d’amidon à l’intérieur des amyloplastes des herbiers avaient en effet chuté brutalement. Et si cette étude ne se concentre que sur une seule espèce, Michel André ne voit aucune raison de penser que d’autres ne soient pas impactées.

Ces résultats ne sont pas à prendre à la légère. Les herbiers marins, en particulier cette espèce, séquestrent en effet beaucoup de dioxyde de carbone (CO2) en le stockant sous forme d’amidon. Au fil du temps, les herbiers s’accumulent en couches, emprisonnant le carbone dans des tapis de plusieurs mètres d’épaisseur.