Des physiciens créent le premier qubit entièrement mécanique

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Le dispositif est constitué d'une puce en saphir avec un qubit supraconducteur (rectangles gris, à gauche) placé au-dessus d'un autre qui fait office d'oscillateur mécanique (point gris, à droite). Crédits : Uwe Von Luepke/ETH Zürich

L’informatique quantique, souvent qualifiée de révolution technologique du futur, promet de résoudre des problèmes complexes bien au-delà des capacités des ordinateurs classiques. Au cœur de cette technologie se trouvent les qubits, des unités fondamentales d’information quantique capables d’exploiter les étranges propriétés de la physique quantique. Cependant, malgré des avancées spectaculaires ces dernières années, un obstacle persiste : la stabilité des qubits. Aujourd’hui, une équipe de physiciens de l’ETH Zurich apporte une réponse novatrice avec la création du premier qubit entièrement mécanique, une innovation qui pourrait transformer la façon dont ces systèmes fonctionnent.

Les qubits : une clé fragile de l’informatique quantique

Contrairement aux bits classiques, qui ne peuvent représenter que 0 ou 1, les qubits utilisent le principe de superposition pour exister simultanément dans ces deux états. Cette caractéristique unique leur permet de traiter d’énormes quantités d’informations en parallèle, ce qui ouvre la voie à des calculs extrêmement rapides et puissants. Cependant, cette complexité a un coût : les qubits traditionnels sont en effet extrêmement instables.

Dans le détail, beaucoup de qubits sont basés sur des circuits supraconducteurs qui exploitent des oscillations électromagnétiques. Dans ces systèmes, des micro-ondes ou des champs magnétiques sont utilisés pour contrôler l’état des qubits et effectuer des opérations. Ces qubits électromagnétiques, comme ceux utilisés dans les processeurs de Google ou IBM, sont à la pointe de la recherche actuelle.

Certains utilisent aussi des systèmes hybrides. Ces derniers combinent différentes approches pour tirer parti des avantages de plusieurs technologies. Par exemple, des qubits peuvent être créés en utilisant des ions piégés dans des champs électromagnétiques et contrôlés par des lasers, ou encore en couplant des états électromagnétiques à des vibrations mécaniques (modes acoustiques) pour améliorer leur contrôle ou leur stabilité.

Ces systèmes, bien que prometteurs, restent cependant très sensibles aux perturbations externes, qu’il s’agisse de variations de température, d’interférences électromagnétiques ou même des vibrations mécaniques ambiantes. Ces influences externes provoquent une perte rapide de leur état quantique, une propriété connue sous le nom de décohérence. En conséquence, la durée pendant laquelle ces qubits peuvent conserver des informations exploitables, appelée temps de cohérence, est extrêmement courte, souvent mesurée en microsecondes, ce qui limite leur efficacité dans des calculs complexes et exige des systèmes coûteux de correction d’erreurs. C’est précisément cette fragilité qui a poussé les chercheurs à explorer des approches alternatives. Et si les qubits pouvaient être rendus plus fiables grâce à une conception entièrement mécanique ?

ordinateurs quantiques
Illustration d’un ordinateur quantique. Crédits : Bartlomiej Wroblewski/istock

Le premier qubit mécanique : une innovation révolutionnaire

Une équipe de l’ETH Zurich a relevé ce défi en développant un dispositif totalement nouveau. Au lieu de dépendre de l’électromagnétisme, leur qubit repose sur une structure mécanique. Au cœur de leur invention se trouve une membrane vibrante, semblable à une fine peau de tambour tendue sur une surface rigide. Cette membrane peut se trouver dans trois états : immobile (sans vibration), en vibration (oscillant régulièrement) ou dans une superposition quantique de ces deux états. En d’autres termes, elle peut simultanément ne pas vibrer et vibrer, une propriété clé des qubits qui permet des calculs quantiques uniques.

Pour rendre cette innovation fonctionnelle, les chercheurs ont utilisé un disque piézoélectrique : un matériau capable de transformer les vibrations mécaniques en signaux électriques et vice versa. Ce disque, qui agit comme un résonateur mécanique, est monté sur une base en saphir, un matériau ultra-rigide et thermiquement stable. Cette base joue un rôle crucial en minimisant les perturbations externes, telles que les variations de température ou les vibrations parasites qui pourraient altérer les performances du système.

De plus, le qubit lui-même, fabriqué à partir d’un matériau supraconducteur (capable de conduire l’électricité sans résistance), est également monté sur une base distincte en saphir. Cette double structure (un résonateur mécanique et un qubit supraconducteur) est reliée par des techniques de fabrication ultraprécises, développées spécifiquement pour ce projet. Cette configuration ingénieuse permet une interaction stable et contrôlée entre la partie mécanique (le résonateur) et la partie quantique (le qubit).

En résumé, imaginez une très fine membrane vibrante au cœur d’un dispositif stabilisé par des matériaux ultrarésistants où chaque composant est conçu pour interagir avec une précision exceptionnelle. Cette conception unique permet de surmonter les limites des qubits actuels tout en offrant des temps de cohérence (la durée de vie des états quantiques) bien plus longs et une stabilité accrue.

Des performances prometteuses

Les premiers tests menés sur ce qubit mécanique ont révélé des performances impressionnantes. Le temps de cohérence, crucial pour la fiabilité des calculs quantiques, s’est avéré nettement supérieur à celui des systèmes traditionnels. En d’autres termes, ce qubit mécanique peut stocker des informations quantiques plus longtemps sans les perdre, offrant ainsi une plateforme plus stable pour des calculs complexes. Cette stabilité accrue pourrait résoudre l’un des principaux obstacles à la réalisation d’ordinateurs quantiques pleinement opérationnels. En effet, avec des qubits plus fiables, les systèmes nécessitent moins de ressources pour corriger les erreurs, ce qui rend les ordinateurs quantiques plus efficaces et plus accessibles.

Cette innovation ouvre donc des perspectives fascinantes pour l’informatique quantique. Parmi les applications envisagées figurent la modélisation moléculaire pour le développement de nouveaux médicaments, l’optimisation des réseaux logistiques ou encore la cryptographie avancée qui pourrait garantir des communications entièrement sécurisées. De plus, les qubits mécaniques pourraient offrir une alternative viable pour les systèmes nécessitant une grande robustesse dans des environnements difficiles, comme les satellites ou les installations industrielles.

Les prochaines étapes de la recherche

Conscients du potentiel de leur découverte, les chercheurs de l’ETH Zurich ne comptent pas s’arrêter là. Ils prévoient d’expérimenter avec d’autres matériaux pour encore améliorer les temps de cohérence. En parallèle, les chercheurs veulent aller plus loin en intégrant ces qubits mécaniques dans un système informatique quantique complet. Un système complet signifie un dispositif dans lequel les qubits ne fonctionnent pas isolément, mais interagissent entre eux pour effectuer des calculs. Pour cela, ils utiliseront des portes quantiques qui sont l’équivalent des circuits logiques dans les ordinateurs classiques dans les ordinateurs quantiques. Ces portes permettent de manipuler les qubits en modifiant leurs états (par exemple en appliquant des opérations comme l’inversion ou la superposition).

En mettant ces qubits mécaniques à l’épreuve avec des portes quantiques, les scientifiques pourront évaluer leur efficacité et leur fiabilité dans des scénarios pratiques, c’est-à-dire dans des situations proches de celles que l’on rencontrerait dans un ordinateur quantique en fonctionnement. Cela leur permettra de déterminer si ces qubits mécaniques sont réellement une alternative viable aux qubits électromagnétiques ou hybrides actuellement utilisés.