pierres solaires
Crédits : Musée national du Danemark

Des peuples néolithiques ont sacrifié des centaines de pierres (et nous savons enfin pourquoi)

Une collection unique et mystérieuse de plaques en pierre gravées semble avoir été sacrifiée par des peuples préhistoriques sur la petite île de Bornholm, au large de la Suède, après une éruption volcanique dévastatrice survenue il y a environ 4 900 ans. Publiée dans la revue Antiquity, la recherche qui passe en revue ces artefacts énigmatiques (appelés pierres solaires) estime que cela témoigne d’un acte désespéré qui visait à contrer les changements climatiques drastiques engendrés par cette catastrophe.

Des pierres mystérieuses qui interrogeaient fortement les historiens

La première découverte de ces pierres solaires a eu lieu en 1995 lorsque quelques fragments ont été mis au jour lors de fouilles sur le site néolithique de Rispebjerg, sur l’île danoise de Bornholm. Cependant, ce n’est qu’entre 2013 et 2018, lors de fouilles plus récentes menées sur le site archéologique de Vasagård, à quelques kilomètres de Rispebjerg, qu’elles ont été trouvées en grand nombre.

Un total de 614 plaques et fragments de pierre ont en effet finalement été découverts. La grande majorité était fabriquée à partir de schiste noir (une roche sédimentaire sombre et feuilletée présente sur l’île) tandis que d’autres étaient en quartz et en silex. La plupart étaient par ailleurs gravées de motifs incisés, notamment des représentations du Soleil et des plantes et découvertes dans des fossés vieux d’environ 4 900 ans recouverts ensuite d’un pavage de pierres qui contenait des fragments de poterie et d’autres objets typiques de la culture présente dans la région jusqu’à environ 2 900 à 2 800 avant J.-C.

Une section du fossé au niveau de Vasagård Ouest. La couche supérieure (1) contenait des débris d’habitat du Néolithique moyen V, vers 2 900 – 2 800 av. J.-C. et repose sur une couche inférieure plus riche en découvertes (2) où la majorité des pierres gravées ont été trouvées. Crédits : Michael S. Thorsen/Iversen et coll., Antiquity, 2025

À quoi ces pierres pouvaient-elles bien servir ?

« Un type de découverte totalement unique à Bornholm est celui des pierres solaires (…). Elles symbolisaient la fertilité et étaient probablement sacrifiées pour assurer le Soleil et la croissance », explique Rune Iversen, de l’Université de Copenhague, co-auteur de l’étude et ayant participé aux fouilles.

Essentiel pour garantir de bonnes récoltes, le Soleil était en effet central pour les premières cultures agricoles du nord de l’Europe. Toutefois, un aspect de la découverte a interpelé les chercheurs. « Pourquoi ont-ils déposé tous ces artefacts en même temps ? », s’est en effet demandé le chercheur. « La dernière chose qu’ils ont faite sur ce site a été de déposer ces pierres solaires avant de les recouvrir avec des fragments d’os d’animaux et d’autres artefacts. Et nous observons ce phénomène répété de fossé en fossé. C’est donc un acte ou un événement rituel. »

deux des 600 pierres solaires retrouvées sur l'île
Crédits ; René Laursen, Bornholms Museum/Iversen et coll., Antiquity, 2025
Différents motifs et types de pierres solaires
Différents motifs et types de pierres solaires schématisés. Crédits : Bente Stensen Christensen/Iversen et coll., Antiquity, 2025

Possiblement une réaction désespérée à un hiver volcanique

Les indices sur le site suggèrent que ces pierres ont été déposées massivement sur une courte période, peut-être en un seul événement, vers 2 900 avant J.-C. En examinant des carottes glaciaires prélevées au Groenland et en Antarctique, l’équipe a détecté des concentrations élevées de sulfates sur cette même période. Or, il s’agit de composés que l’on retrouve communément après une éruption volcanique majeure.

La quantité relative de sulfates dans ces régions polaires indique par ailleurs que l’éruption en question s’est probablement produite près de l’équateur et a eu des répercussions étendues. Les nuages de cendres auraient pu obscurcir le Soleil et entraîner une baisse des températures pendant plusieurs années. Un refroidissement sévère vers 2 900 avant J.-C. est par ailleurs également corroboré par d’autres sources, notamment les cernes d’arbres préservés dans la vallée du Main, en Allemagne, et ceux des pins Bristlecone dans l’ouest des États-Unis.

On sait que dans l’histoire, les éruptions volcaniques ont souvent eu des conséquences dramatiques sur les sociétés humaines (froid, manque de soleil et mauvaises récoltes). En 43 avant J.-C. par exemple, une éruption en Alaska a projeté de grandes quantités de soufre dans la stratosphère et provoqué au passage des récoltes désastreuses dans les pays méditerranéens, engendrant au passage une famine et des maladies bien documentées dans les écrits grecs et romains. Et bien que nous ne disposions pas de sources écrites datant du Néolithique pour en attester, ces découvertes montrent que les peuples néolithiques d’Europe du Nord ont connu des épreuves similaires.

Une catastrophe qui éclaire la signification de ces pierres

Étant donné que de nombreuses pierres gravées présentent des motifs solaires et champêtres, les chercheurs avancent une interprétation possible. « Si le Soleil disparaissait partiellement à cause d’un brouillard stratosphérique prolongé, cela aurait été extrêmement effrayant pour eux », explique Iversen. « Sans récolte, sans semences pour l’année suivante, ils devaient se sentir profondément punis, comme pris dans une catastrophe sans fin ».

Au regard de ces éléments, l’étude estime ainsi que l’enfouissement de ces gravures aurait pu être un acte désespéré pour faire revenir le Soleil ou bien une célébration après que le ciel se soit finalement éclairci. Ces découvertes étonnantes offrent en tout cas des perspectives fascinantes sur les pratiques rituelles des Européens du Néolithique, notamment face à une crise environnementale préhistorique d’ampleur.

Vous pouvez consulter l’étude en détail sur ce lien.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.