Avec le dégel du pergélisol, les végétaux se multiplient et des systèmes racinaires toujours plus nombreux et profonds se développent. Or, une nouvelle étude démontre que ce phénomène accélère la décomposition bactérienne et les pertes de carbone vers l’atmosphère. Un cercle vicieux que les modèles climatiques actuels ne prennent pas en compte.
Le pergélisol, permafrost en anglais, est l’un des réservoirs majeurs de carbone sur Terre. Et pour cause, il contient d’importantes quantités de matière organique pour l’instant préservées de l’oxydation par le gel. Toutefois, cet équilibre est de plus en plus perturbé par le réchauffement climatique. Aussi, les scientifiques s’attendent à ce qu’une partie du carbone stocké soit libérée dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (CO2) ou de méthane (CH4). Or, ces deux puissants gaz à effet de serre amplifieraient encore un peu plus l’élévation des températures.
Comprendre comment les flux de carbone au niveau des grandes zones boréales évolueront en climat plus chaud reste néanmoins un sujet de recherche actif. En effet, de nombreux processus interviennent et l’effet net est loin d’être trivial. Dans une étude publiée le 20 juillet dernier par la prestigieuse revue Nature geoscience, des chercheurs rappellent qu’une des incertitudes principales concerne la décomposition microbienne. Comment celle-ci va-t-elle se modifier avec le changement climatique ?
Pergélisol, végétaux et décomposition microbienne
Dans leur papier, les scientifiques ont évalué un processus jusqu’à présent négligé et par lequel la décomposition bactérienne peut être accélérée. Il s’agit du rôle joué par les racines des plantes appelées rhizomes. À mesure que la température s’élève et que le pergélisol dégèle, les végétaux se multiplient et prennent racine de plus en plus profondément. De fait, la respiration du substrat devient de plus en plus élevée. Or, ce mécanisme accélère l’oxydation de la matière organique et les émissions de carbone, en particulier de CO2.
Les observations et mesures de terrain ont révélé que cet effet multipliait jusqu’à quatre fois la décomposition microbienne. Ou formulé différemment, il augmentait la respiration du sol de plus de 12% en zone polaire boréale. À lui seul, il suffirait ainsi à déstocker plus de quarante pétagrammes de carbone d’ici à 2100. Les auteurs expliquent que les zones les plus sensibles se situent en baie d’Hudson, en plaines de Russie centrale et dans l’est sibérien.
Des incertitudes persistantes et un budget carbone réduit
Si le rôle joué par les racines est connu depuis les années 1950, il n’a jamais été quantifié de façon à pouvoir être pris en compte dans les projections climatiques. Ainsi, ces dernières n’en tiennent pas rigueur et risquent de sous-estimer la hausse future des températures.
Toutefois, comme indiqué plus haut, de nombreux processus, souvent antagonistes, entrent en jeu. De fait, il se pourrait très bien qu’existent des forces de rappel empêchant un déstockage de carbone trop important. De tels mécanismes ont par exemple été avancés avec un certain degré de confiance en ce qui concerne le méthane. Ceci expliquant pourquoi l’hypothèse d’un emballement par rejets massifs de méthane depuis le pergélisol ou les clathrates est jugée peu probable.
« Nos résultats soulignent la nécessité d’inclure les interactions écologiques à petite échelle afin de prédire avec précision les émissions de gaz à effet de serre à grande échelle », indique le papier dans son abstract. « Ils suggèrent des restrictions encore plus strictes sur le budget d’émission de carbone anthropique, estimé à 200 pétagrammes pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C ».