Une fusée Falcon 9 au décollage. Crédits : SpaceX

Pendant que le monde regardait ailleurs ce week-end, SpaceX a franchi trois jalons simultanément

Le 19 octobre 2025 marquera probablement un tournant silencieux mais décisif dans l’histoire de l’exploration spatiale. Pendant que le monde regardait ailleurs, SpaceX a franchi trois jalons simultanément : un record de réutilisation de fusée, le 10 000e satellite Internet en orbite, et un rythme de lancement inédit. Ces trois événements convergents révèlent comment l’entreprise redessine les règles de l’accessibilité spatiale et accélère vers des objectifs que seule la science-fiction osait imaginer quelques années auparavant.

Quand la réutilisation devient la norme, pas l’exception

Le premier jalon paraît technique, presque ennuyeux aux non-initiés : le booster Falcon 9 numéro 1067 a complété son 31e vol. Mais cette simple statistique cache une révolution. Pendant des décennies, les fusées ont fonctionné comme des avions commerciaux jetables. Vous pouviez utiliser un Boeing 747 pendant trente ans, mais une fusée Saturn V aurait coûté plusieurs milliards de dollars pour chaque lancement. SpaceX a inversé cette équation en récupérant ses premiers étages et en les relançant systématiquement.

Ce premier étage qui a volé 31 fois aurait normalement nécessité 31 constructions entièrement neuves. Le coût de ce seul propulseur réutilisé représenterait autrefois le budget entier d’une agence spatiale nationale. Aujourd’hui, SpaceX le récupère en océan, le révise, et le renvoie en orbite.

Cette capacité de réutilisation massive réduit les coûts de lancement de 30 à 50% par rapport aux fusées traditionnelles non-réutilisables. Les économistes appellent cela la « démocratisation du coût d’accès spatial ». Ce qui coûtait 65 000 dollars par kilogramme envoyé en orbite il y a quinze ans coûte maintenant moins de 2 700 dollars. C’est une baisse de 95%. Cette réduction exponentielle du coût ouvre des possibilités qui semblaient scientifiquement impossibles : des mégaconstellations satellites, des missions lunaires commerciales, des bases martiennes.

Le 10 000e satellite

Le second jalon frappe davantage l’imaginaire : le 10 000e satellite Starlink vient d’atteindre l’orbite terrestre basse. Pour contextualiser, avant 2018, seulement environ 8 000 satellites actifs gravitaient autour de la Terre depuis le début de l’ère spatiale. En sept ans, une seule entreprise en a placé le double. Starlink seul compte désormais 8 608 satellites opérationnels, avec l’autorisation d’en lancer jusqu’à 12 000, voire 30 000 à long terme.

Cette mégaconstellation n’est pas un accident technologique, mais le fruit d’une vision stratégique : connecter les régions isolées du monde à Internet haute vitesse via satellite. Pour les trois milliards de personnes sans accès à haut débit, c’est une promesse d’inclusion numérique.

Mais cette accumulation pose aussi des questions fascinantes. Ces 10 000 satellites modifient-ils le ciel que les astronomes observent ? Oui. Brouillent-ils les observations télescopes ? Oui, légèrement. Contribuent-ils à une transition énergétique en permettant le travail à distance dans des régions sans infrastructure électrique fiable ? Potentiellement. Le jalon symbolique du 10 000e satellite marque le moment où l’humanité a basculé d’une présence spatiale résiduelle à une occupation orbitale active et permanente.

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Crédits : SpaceX

132 lancements dans une année : quand la cadence devient insoutenable

Le troisième jalon révèle peut-être le changement le plus profond : SpaceX a lancé 132 Falcon 9 en 2025, égalant le record de l’année précédente. Pour comprendre l’absurdité de ce chiffre, il faut remonter en arrière. En 2019, l’industrie spatiale mondiale effectuait environ 94 lancements orbitaux par an. En 2024, rien que SpaceX en représentait 89, soit près de 95% de tous les lancements américains. En 2025, SpaceX seul dépasse cet ancien record global. Aucune autre nation, aucune autre entreprise n’a jamais approché ces chiffres.

Cette cadence ultra-rapide de lancement repose sur une infrastructure de réutilisation systématique. Les mêmes boosters reviennent en 8,5 minutes et repartent semaines plus tard. Les mêmes sites de lancement sont préparés en parallèle pour accueillir plusieurs missions quotidiennement. C’est une approche à la chaîne de montage automobile appliquée à l’espace.

Cette accélération matérialise également la course vers Mars : Starship, la fusée géante entièrement réutilisable de SpaceX, dépend directement de cette expérience opérationnelle accumulée avec Falcon 9. Chaque vol peaufine les processus, réduit les délais, améliore la fiabilité. La fréquence elle-même devient un apprentissage.

Le moment où la science-fiction rattrape la réalité

Ces trois jalons convergeant le même jour illustrent comment SpaceX a transformé l’exploration spatiale d’une aventure pédagogique en une infrastructure industrielle. Il y a dix ans, lancer 132 fusées en un an aurait été inimaginable. Posséder 10 000 satellites aurait déclenché des débats éternels sur la faisabilité. Réutiliser un booster 31 fois aurait semblé relever de la science-fiction.

Aujourd’hui, ces événements passent presque inaperçus aux yeux du grand public. C’est précisément parce qu’ils fonctionnent. La technologie disparaît quand elle devient fiable. Ces jalons silencieux de 2025 sont les fondations sur lesquelles l’humanité construira sa présence off-world au cours des prochaines décennies. Mars n’est plus un rêve scientifique. C’est maintenant une question d’ingénierie et de cadence.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.