Certains humains préhistoriques recyclaient-ils de vieux outils pour préserver la mémoire de leurs ancêtres ?

Des outils en pierre sur certains sites préhistoriques ont eu deux cycles de vie : ils ont été fabriqués, utilisés, jetés, puis ramassés et réutilisés. Pourquoi ? Une nouvelle étude avance une hypothèse intéressante.

Des outils en pierre à deux cycles de vie ont été trouvés sur plusieurs sites préhistoriques, mais le phénomène n’a jamais été examiné de manière approfondie. Pour la présente étude, les chercheurs se sont concentrés sur le site de Revadim, dans le sud de la plaine côtière d’Israël, daté d’il y a entre 300 000 et 500 000 ans. La plupart des outils y étaient fabriqués en silex.

Une équipe de l’Université de Tel Aviv s’est ainsi posé la question suivante : pourquoi ces humains préhistoriques collectaient et recyclaient-ils ces outils utilisés et jetés par leurs prédécesseurs de nombreuses années plus tôt ? Le site regorgeait de silex de bonne qualité. La rareté des matières premières n’était donc pas la raison. La motivation n’était pas non plus simplement fonctionnelle, puisque ces outils recyclés n’étaient ni de forme inhabituelle ni uniquement adaptés à un usage spécifique.

Une histoire de patine

La clé pour identifier les outils recyclés et comprendre leur histoire est d’analyser leur patine. Il s’agit d’un revêtement chimique qui se forme sur le silex lorsqu’il est exposé aux éléments. Un outil en silex mis au rebut pendant des décennies ou des siècles accumule ainsi une couche de patine facilement identifiable, qui diffère à la fois en couleur et en texture des cicatrices d’un second cycle de traitement qui expose la couleur et la texture d’origine du silex.

Pour ces travaux, les chercheurs ont analysé 49 de ces outils ayant connu deux cycles de vie. Les deux bords, l’ancien et le nouveau, ont été examinés sous deux types de microscopes et diverses analyses chimiques dans le but d’identifier des marques d’usure et/ou de résidus organiques. Pour 28 de ces outils, des marques d’usure ont été relevées sur les tranches anciennes et/ou nouvelles. Des résidus organiques (contact avec des os ou des graisses animales) ont été détectés sur treize d’entre eux.

Étonnamment, ces outils avaient été utilisés à des fins très différentes. D’après les auteurs, qui publient leurs travaux dans Scientific Reports, les bords plus anciens étaient principalement utilisés pour la coupe, tandis que les « nouveaux » servaient pour le grattage (traitement de matériaux souples comme le cuir et l’os). Autre point intéressant : dans leur second cycle de vie, ces outils auraient été remodelés de manière à préserver la forme originale de l’outil, y compris sa patine. Seul le bord actif était systématiquement retravaillé.

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Certains outils en silex patinés et recyclés. Crédits : Université de Tel-Aviv

Préserver la mémoire des ancêtres ?

En se basant sur ces indices, les chercheurs postulent que ces humains préhistoriques collectaient et recyclaient ces vieux outils parce qu’ils attachaient une importance aux objets fabriqués par leurs prédécesseurs.

« Imaginez un humain préhistorique marchant dans le paysage il y a 500 000 ans, lorsqu’un vieil outil en pierre attire son regard. L’outil signifie quelque chose pour lui : il porte la mémoire de ses ancêtres ou évoque un lien avec un certain lieu. Il le ramasse et le pèse dans ses mains. L’artefact lui plaît, alors il décide de le ramener à la maison« , racontent les auteurs. « Comprenant qu’une utilisation quotidienne peut préserver et même améliorer sa mémoire, il retouche le bord pour son propre usage, mais prend soin de ne pas altérer la forme générale en l’honneur du premier fabricant ».

Les auteurs font également une analogie moderne avec un jeune agriculteur labourant encore ses champs avec son arrière-grand-père avec le vieux tracteur. Ce jeune agriculteur fera bien l’effort de remplacer quelques pièces de temps en temps, mais cherchera à conserver la bonne vieille machine telle quelle, « car elle symbolise le lien de sa famille avec la terre« . En définitive, ces premiers humains évoluant il y a près de 500 000 ans n’étaient peut-être pas si différents de nous dans la façon dont ils collectaient des souvenirs.

Bien sûr, il est également possible que ces outils aient été réutilisés parce que leur travail demandait moins d’efforts que de créer de nouveaux outils. Néanmoins, les chercheurs soulignent la présence de nombreux outils nouvellement créés à côté des 49 objets réutilisés analysés, de sorte que cette stratégie (produire un outil de zéro) était également largement utilisée. En outre, adapter un ancien outil n’est pas forcément plus facile.