Oubliez les tunnels lisses de la science-fiction : l’intérieur d’un trou noir ressemble… à une chenille

Personne n’a jamais vu l’intérieur d’un trou noir, et pour cause. Ces monstres cosmiques avalent tout ce qui s’en approche, y compris la lumière. Pourtant, des physiciens viennent de cartographier théoriquement ce qui se cache au cœur de ces objets les plus mystérieux de l’univers. Leur conclusion bouleverse nos représentations : le passage reliant deux trous noirs intriqués n’est pas le tunnel étincelant et rectiligne des films hollywoodiens, mais une structure longue, bosselée et sinueuse qu’ils ont baptisée « chenille d’Einstein-Rosen ». Cette découverte, publiée dans Physical Review Letters, pourrait enfin réconcilier les deux piliers contradictoires de la physique moderne.

Quand la mécanique quantique rencontre les trous noirs

Le problème fondamental de la physique contemporaine tient en une phrase : la relativité générale d’Einstein et la mécanique quantique refusent de coopérer. La première décrit admirablement bien la gravité et les grandes structures cosmiques, tandis que la seconde régit le monde infiniment petit avec une précision redoutable. Mais lorsqu’on tente de les appliquer simultanément aux trous noirs, les équations explosent et les contradictions surgissent.

Une équipe de chercheurs américains et argentins a décidé de s’attaquer à cette énigme en se posant une question apparemment simple : à quoi ressemblerait l’intérieur d’un trou noir si ces deux théories étaient toutes deux valides ? Plus précisément, ils se sont intéressés à deux trous noirs liés par l’intrication quantique, ce phénomène étrange où deux objets restent mystérieusement connectés quelle que soit la distance qui les sépare.

Une chenille cosmique au lieu d’un tunnel parfait

Pour cartographier cet intérieur invisible, les scientifiques ont développé une approche ingénieuse. Ils sont partis d’un modèle théorique de trou de ver parfaitement lisse, doté d’un état quantique ordonné. Puis, pour simuler la réalité chaotique de l’univers, ils ont utilisé des simulations informatiques pour brouiller progressivement la connexion quantique entre les deux trous noirs.

Le résultat a dépassé toutes les attentes. Au lieu de s’effondrer ou de devenir instable, le trou de ver s’est transformé en une longue structure irrégulière, segmentée et bosselée, évoquant irrésistiblement une chenille. Cette forme n’est pas anodine : elle représente la manière dont l’espace-temps lui-même se déforme pour maintenir la connexion entre les deux trous noirs malgré le chaos quantique ambiant.

Plus fascinant encore, les chercheurs ont découvert un lien mathématique direct entre le niveau de désordre quantique et la complexité géométrique du trou de ver. Plus l’état quantique des trous noirs devient aléatoire et chaotique, plus le tunnel qui les relie s’allonge et se complexifie. C’est comme si l’univers compensait le chaos en étirant l’espace pour maintenir la connexion.

trou noir chenille
Crédit : Physical Review Letters (2025)
La chenille ER est un long trou de ver bosselé, soutenu par une distribution de matière inhomogène, dont l’échelle de corrélation est définie par ℓ Δ et la longueur moyenne par ℓ(t)

Un coup fatal au paradoxe du pare-feu

Cette découverte pourrait résoudre l’un des conflits les plus épineux de la physique théorique : le paradoxe du pare-feu. Certains calculs suggèrent que l’horizon d’un trou noir devrait être bordé d’un mur d’énergie apocalyptique qui vaporiserait instantanément tout ce qui tente de le franchir. Cette prédiction contredit pourtant l’intuition de la relativité générale, selon laquelle un observateur franchissant l’horizon d’un trou noir suffisamment massif ne devrait rien remarquer de particulier.

Les travaux de cette équipe apportent une réponse élégante. Même lorsque l’intrication quantique devient chaotique et désordonnée, le trou de ver demeure un tunnel stable et prévisible où les lois classiques de la gravitation continuent de s’appliquer normalement. Pas de pare-feu apocalyptique, pas de rupture violente de l’espace-temps. Juste une chenille cosmique qui serpente tranquillement dans les profondeurs de l’univers.

Deux concepts étranges, une seule réalité

Au-delà de la simple géométrie des trous noirs, cette recherche renforce une conjecture audacieuse connue sous le nom d’ER=EPR. Cette équation cryptique suggère que deux des phénomènes les plus étranges de la physique ne sont en réalité que deux manifestations différentes d’une même réalité sous-jacente. D’un côté, l’intrication quantique qui relie instantanément des particules séparées. De l’autre, les ponts d’Einstein-Rosen qui connectent des régions distantes de l’espace-temps.

Si cette équivalence se confirme, elle pourrait constituer une pierre angulaire de la théorie unifiée que cherchent les physiciens depuis des décennies. Une théorie capable de réconcilier enfin la mécanique quantique et la relativité générale, ces deux piliers apparemment incompatibles sur lesquels repose notre compréhension de l’univers. Et tout cela grâce à une chenille cosmique que personne ne verra jamais de ses propres yeux.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.