Pendant quatre décennies, les astronomes ont scruté le cosmos à la recherche d’une preuve tangible. Ils savaient que ces monstres cosmiques devaient exister par paires, dansant l’un autour de l’autre dans une valse gravitationnelle mortelle. Mais personne n’avait jamais réussi à les voir ensemble. Jusqu’à maintenant.
Une photographie qui change tout
L’astronomie vient de franchir un seuil historique. Pour la première fois de l’histoire humaine, des scientifiques ont capturé une image radio montrant deux trous noirs tournant en orbite mutuelle. Cette prouesse technique met fin à un débat vieux de quarante ans et confirme ce qui relevait jusqu’ici de la pure théorie : les systèmes binaires de trous noirs existent bel et bien.
La cible de cette observation exceptionnelle se nomme OJ287, un quasar situé à des milliards d’années-lumière de la Terre. Les quasars figurent parmi les objets les plus lumineux de l’univers observable. Leur éclat provient d’un trou noir supermassif qui dévore voracement la matière environnante, transformant le gaz et la poussière cosmiques en un rayonnement d’une intensité phénoménale.
Mauri Valtonen, chercheur principal de l’étude publiée dans The Astrophysical Journal et rattaché à l’Université de Turku en Finlande, souligne la particularité d’OJ287 : ce quasar brille si intensément que même des astronomes amateurs équipés de télescopes personnels peuvent le repérer dans le ciel nocturne.
Une découverte accidentelle au 19e siècle
L’histoire d’OJ287 commence bien avant l’ère spatiale, à une époque où personne ne soupçonnait l’existence des trous noirs. Au 19e siècle, des astronomes photographiant différentes régions célestes ont capturé cet objet mystérieux sans même s’en rendre compte. Il figurait simplement en arrière-plan de leurs clichés, tandis qu’ils concentraient leur attention sur d’autres astres.
Il faudra attendre 1982 pour qu’Aimo Sillanpää, alors étudiant en master à l’Université de Turku, remarque quelque chose d’inhabituel. La luminosité d’OJ287 variait selon un cycle régulier de douze ans. Cette périodicité parfaite ne pouvait être le fruit du hasard. Sillanpää formula alors une hypothèse audacieuse : et si ces variations étaient causées par deux trous noirs gravitant l’un autour de l’autre ?
Cette théorie suscita immédiatement l’intérêt de la communauté scientifique internationale. Des centaines d’astronomes se mirent à surveiller OJ287 avec attention, collectant des données précieuses pour reconstituer la chorégraphie orbitale de ce système binaire présumé.

Le puzzle orbital enfin résolu
Le mystère de l’orbite exacte des deux trous noirs resta entier pendant des décennies. Il y a quatre ans, une avancée décisive fut réalisée par Lankeswar Dey, doctorant travaillant entre Mumbai et l’Université de Turku. Ses calculs permirent de modéliser précisément la trajectoire des deux mastodontes cosmiques.
Restait la question ultime : pouvait-on réellement les observer simultanément ? Le satellite TESS de la NASA apporta une première réponse en détectant effectivement la lumière émise par les deux trous noirs. Problème : sur les images en lumière visible, ils n’apparaissaient que comme un unique point lumineux. La résolution était tout simplement insuffisante pour les distinguer.
Les radiotélescopes entrèrent alors en scène. Ces instruments offrent une résolution cent mille fois supérieure aux télescopes optiques classiques. C’est grâce au système RadioAstron, incluant un satellite positionné à mi-chemin entre la Terre et la Lune, que l’image historique fut obtenue il y a une dizaine d’années.
Des jets de particules comme signatures visibles
Sur cette image révolutionnaire, les trous noirs eux-mêmes demeurent invisibles. Leur nature même les rend parfaitement noirs, avalant toute lumière qui s’aventure trop près. Mais les chercheurs les identifient grâce aux jets de particules colossaux qu’ils propulsent dans l’espace à des vitesses prodigieuses, ainsi qu’au gaz incandescent qui tourbillonne autour d’eux avant de franchir l’horizon des événements.
Les scientifiques ont d’ailleurs identifié un phénomène inédit : le jet émis par le plus petit des deux trous noirs se comporte comme le jet d’un tuyau d’arrosage en rotation. Cette torsion s’explique par le mouvement rapide du trou noir secondaire autour de son compagnon plus massif. Le jet est littéralement dévié au fil de l’orbite.
L’équipe compare ce phénomène à une queue qui remue. Dans les années à venir, les astronomes s’attendent à observer ce jet se tordre dans diverses directions, reflétant les changements de vitesse et de trajectoire du trou noir qui l’émet.

Une fenêtre qui se referme
Valtonen note avec une pointe de regret que le satellite RadioAstron n’est plus en service aujourd’hui. Les observations actuelles reposent uniquement sur des télescopes terrestres, dont la résolution reste inférieure. Cette image historique pourrait donc demeurer unique pendant encore quelques années, témoignage d’un instant où l’humanité a réussi à capturer l’inimaginable : deux abîmes cosmiques dansant ensemble dans l’obscurité infinie de l’espace.
