Il avait disparu des radars depuis près de 40 ans. Identifié pour la première fois en 1989 à partir de spécimens de musée, le rat laineux subalpin (Mallomys istapantap) était depuis resté un fantôme zoologique. Aucun biologiste n’avait jamais réussi à l’observer vivant, encore moins à le filmer. Jusqu’à aujourd’hui.
Dans une nouvelle étude publiée en avril dans la revue Mammalia, František Vejmělka, doctorant à l’Académie tchèque des sciences, a dévoilé les toutes premières images de cette mystérieuse espèce dans son habitat naturel. Une prouesse scientifique rendue possible par une expédition de six mois dans les montagnes isolées de Nouvelle-Guinée, à plus de 3 000 mètres d’altitude.
Un rat… pas comme les autres
Si le mot « rat » évoque pour beaucoup un petit rongeur urbain et furtif, oubliez tout de suite cette image : le Mallomys istapantap est un véritable géant poilu. Il peut atteindre 85 cm de long (du nez à la queue) et peser jusqu’à 2 kg, rivalisant avec le célèbre rat à poche de Gambie en taille.
C’est la plus grande espèce de rat connue en Australie-Océanie, et l’une des plus imposantes au monde. Doté de grandes pattes robustes, de dents acérées et d’une épaisse fourrure laineuse, il semble tout droit sorti d’un film d’aventure. Mais sa taille impressionnante ne l’a pas empêché de rester totalement insaisissable pendant près de quatre décennies.
Un fantôme des forêts d’altitude
L’une des raisons pour lesquelles ce rat est resté aussi longtemps invisible est son habitat difficile d’accès. Il vit dans les forêts et prairies de montagne de la chaîne du mont Wilhelm, à plus de 3 800 mètres d’altitude, où peu de scientifiques s’aventurent.
Là-haut, il mène une vie nocturne, passant ses journées caché dans des terriers souterrains ou perchés dans la canopée. La nuit, il grimpe aux arbres pour se nourrir principalement de matières végétales. Ce mode de vie discret, couplé à un terrain escarpé, explique pourquoi aucune observation directe n’avait été possible… jusqu’à ce que Vejmělka s’en mêle.
La science en pleine jungle
Avec l’aide précieuse des tribus locales, le chercheur a installé des pièges photographiques dans les zones les plus reculées. Résultat : des vidéos inédites montrant l’animal dans toute sa splendeur, y compris un passage où un rat traverse un ruisseau sur une branche moussue, comme un funambule poilu.
En plus des images, Vejmělka a pu capturer quelques spécimens mâles vivants, collecter des données biométriques, et même analyser leur régime alimentaire et leurs parasites. Ces nouvelles informations offrent un aperçu unique sur une espèce restée quasi inconnue depuis sa découverte.
Un géant de l’évolution
Mais pourquoi un rat devient-il aussi gros dans un tel environnement ? Selon le chercheur, le Mallomys istapantap pourrait être un exemple frappant de gigantisme insulaire. Ce phénomène évolutif, observé sur certaines îles ou zones isolées, pousse certaines espèces à grandir bien au-delà de la taille de leurs cousins continentaux, faute de prédateurs et en raison de niches écologiques vacantes.
Les montagnes de Nouvelle-Guinée, riches mais encore largement inexplorées, offrent justement un écosystème unique, propice à l’apparition d’espèces hors normes. Comme le souligne Vejmělka :
« Il est étonnant qu’un animal aussi grand et remarquable soit resté si peu étudié. Que reste-t-il encore à découvrir dans les montagnes tropicales ? »
Un trésor à préserver
Au-delà de l’émerveillement, cette redécouverte soulève une question cruciale : combien d’espèces comme celle-ci restent encore invisibles à nos yeux, nichées dans les derniers recoins inexplorés de la planète ? Et combien pourraient disparaître sans même que nous sachions qu’elles ont existé ?
La mission de Vejmělka est un rappel de l’importance de soutenir la recherche sur la biodiversité, mais aussi de protéger les environnements fragiles où ces espèces rares trouvent refuge.
Car parfois, pour découvrir un trésor de la nature, il faut gravir les plus hautes montagnes… et écouter ceux qui y vivent depuis toujours.