Depuis des décennies, Homo habilis est présenté comme le premier hominidé capable de dominer la chaîne alimentaire grâce à ses outils en pierre. On l’imagine repoussant les carnivores et volant leurs proies, incarnant l’audace et l’ingéniosité humaine naissante. Mais une nouvelle étude vient radicalement changer cette vision : selon des analyses récentes, H. habilis aurait été bien plus souvent la proie que le prédateur, renversant notre compréhension de l’évolution humaine. Cette découverte, rendue possible grâce à l’intelligence artificielle, nous oblige à réexaminer la place réelle de cette espèce dans l’écosystème préhistorique.
H. habilis : entre ingéniosité et vulnérabilité
Homo habilis, surnommé « l’homme habile », est apparu il y a environ 2 millions d’années dans les gorges d’Olduvai, en Tanzanie. Reconnu pour avoir fabriqué les premiers outils en pierre – la fameuse boîte à outils oldowayenne – il a longtemps été considéré comme le premier véritable « humain » à maîtriser son environnement et à exploiter les carcasses des animaux. Ces outils auraient servi à chasser, mais surtout à dépecer les proies laissées par les grands prédateurs, consolidant l’idée d’une position dominante dans la chaîne alimentaire.
Pourtant, les fossiles récemment analysés montrent un autre scénario. Deux spécimens, dont le célèbre OH 7, présentent des marques de morsures qui ne correspondent pas aux hyènes se nourrissant de cadavres, comme on le pensait initialement, mais à celles de léopards.
Grâce à l’intelligence artificielle, les chercheurs ont pu attribuer ces marques avec une probabilité supérieure à 90 %, révélant qu’H. habilis était bien la proie de ces grands félins. Ce constat remet en cause l’image d’un hominidé conquérant et suggère qu’il devait composer avec des menaces constantes, tout en essayant de survivre dans un environnement hostile.

Implications pour l’évolution humaine
Cette découverte a des implications profondes sur notre compréhension de l’évolution humaine. Si H. habilis était régulièrement chassé par des léopards, cela signifie que cette espèce n’avait pas encore développé les compétences de défense ou de chasse permettant de dominer les carnivores. La position de « premier prédateur » lui attribuée jusqu’ici pourrait être illusoire, et sa survie dépendait probablement davantage de la vigilance et de l’adaptation que de la force ou de la ruse.
Le fait que H. habilis ait été une proie régulière souligne aussi la complexité de l’évolution. La conquête des ressources et la maîtrise de la chaîne alimentaire n’a pas été immédiate mais progressive. Les hominidés de cette époque devaient naviguer entre la prédation et la collecte, utilisant outils et stratégies pour limiter les risques plutôt que pour imposer leur supériorité. La vision héroïque de l’homme préhistorique en tant que prédateur invincible doit donc être nuancée par ces preuves scientifiques.

Homo erectus : le véritable maître ?
Si H. habilis n’était pas le premier à s’imposer, alors quel hominidé a pu véritablement dominer son environnement ? Les chercheurs suggèrent que Homo erectus pourrait être le candidat le plus probable. Plus grand, plus robuste et mieux adapté à la vie terrestre, H. erectus aurait eu les capacités physiques et comportementales nécessaires pour repousser les prédateurs et exploiter efficacement les carcasses. Il aurait ainsi marqué le véritable tournant dans l’histoire humaine, établissant pour la première fois un contrôle durable sur les ressources alimentaires et la dynamique des prédateurs.
Cette hypothèse modifie profondément notre récit évolutif : H. erectus, et non H. habilis, pourrait être considéré comme le premier hominidé à atteindre le sommet de la chaîne alimentaire. Il a sans doute été le premier à combiner force, intelligence et organisation sociale pour sécuriser sa survie et celle de ses congénères, ouvrant la voie à l’évolution des comportements humains plus complexes.
