À l’instar des humains, de nombreux animaux forment des relations monogames durables. C’est notamment le cas de la majorité des oiseaux qui s’accouplent avant d’élever leurs petits ensemble sur plusieurs années. Cependant, comme chez les humains, il arrive aussi… qu’ils divorcent. Une étude menée sur une population isolée de fauvettes des Seychelles sur l’île Cousin montre de manière inquiétante comment des facteurs environnementaux, en particulier les précipitations, influencent la stabilité des liens chez ces couples de passereaux tropicaux.
Des oiseaux particulièrement fidèles
Comme leur nom le laisse suggérer, la rousserolle des Seychelles, aussi appelée fauvette des Seychelles (Acrocephalus sechellensis) est une espèce de passereaux endémique exclusivement de cinq îles de cet archipel. Longtemps menacée d’extinction, elle bénéficie aujourd’hui d’une population relativement stable sur l’île Cousin après que l’île entière et les eaux environnantes aient été transformées en réserve naturelle dans les années 1960 et 1970.
Particulièrement fidèles en amours, les couples de fauvettes des Seychelles peuvent rester ensemble jusqu’à quinze ans. Certains peuvent cependant parfois se séparer. Et si la séparation peut parfois permettre de corriger un mauvais choix de partenaire (associé notamment à un échec de la reproduction), certains de ces oiseaux cherchent un nouveau partenaire sans raison apparente ni que cela soit dans leur intérêt. Mais alors, que se passe-t-il ?
En utilisant un ensemble de données unique qui couvre plusieurs décennies, les scientifiques ont déterminé le statut relationnel de tous les oiseaux de l’île sur une période de seize ans et l’ont mis en relation avec les données de la station météorologique locale. Les résultats, très troublants, montrent que des conditions météorologiques défavorables peuvent avoir un effet dévastateur.
Un lien entre divorce chez ces oiseaux et précipitations extrêmes
Environ 92 % des espèces d’oiseaux socialement monogames divorcent à un moment ou à un autre, avec des taux de divorce variant selon les espèces. Chez la fauvette des Seychelles, les taux de divorce annuels pouvaient varier de 1 % à 16 % sur la période étudiée. Or, les chercheurs ont découvert un lien frappant entre ces taux et les fluctuations des précipitations. Selon eux, il y aurait en effet eu plus de divorces les années où les précipitations étaient anormalement basses ou élevées par rapport aux années où elles étaient modérées.
Plus précisément, l’analyse des données montre que la probabilité de divorce était étroitement liée à la quantité de pluie enregistrée dans les sept mois qui précèdent et pendant la saison de reproduction. Un El Niño exceptionnel en 1997 a par exemple entraîné des précipitations records : 1 430 mm, contre une moyenne de 884 mm. Cette année-là, de nombreuses fauvettes des Seychelles ont divorcé (15,3 %). Les années de sécheresse ont également vu un nombre accru de ruptures de couples. Il semblerait ainsi que ces oiseaux restent ensemble quand le temps est clément, mais se séparent lorsque les conditions se détériorent.
Comment le climat influence la stabilité des couples
En général, le divorce chez de nombreuses espèces est souvent directement lié à un faible succès reproducteur (lorsqu’un couple échoue à élever des petits lors de la saison précédente). Pourtant, dans cette étude, rien n’indique que cela soit le cas chez les fauvettes des Seychelles. Il est en effet étonnant de noter ici que bien que les précipitations influencent la capacité de ces oiseaux à produire une descendance, l’échec de reproduction ne rendait pas les couples plus enclins au divorce. Certains oiseaux divorcés avaient en effet réussi à avoir des petits tandis que d’autres qui n’avaient pas eu de descendance sont restés ensemble. Cela suggère que des facteurs plus complexes pourraient entrer en jeu.
Les conditions météorologiques extrêmes modifient notamment l’environnement physique. Cela a une incidence directe sur la disponibilité de la nourriture, les habitats et les sites de nidification. Une absence prolongée de pluie avant la reproduction peut également affecter la santé des oiseaux. À cela s’ajoutent des défis liés au maintien d’une température corporelle adéquate pendant des périodes de fortes pluies, ce qui peut augmenter leur niveau de stress et provoquer une instabilité dans leurs relations, même si cela n’est pas nécessairement corrélé à un échec reproductif.
Des leçons à tirer de ces recherches
Cette nouvelle recherche, publiée dans le Journal of Animal Ecology, met ainsi en lumière une autre conséquence du changement climatique et d’un climat extrême : une déstabilisation des partenariats chez les animaux sauvages. Cette étude s’ajoute ainsi à l’ensemble toujours plus fourni de données qui montrent comment les facteurs environnementaux, en particulier ceux liés au changement climatique, influencent directement les dynamiques sociales et les stratégies reproductives de la faune.
« À mesure que le changement climatique s’intensifie, il est crucial de comprendre comment les fluctuations des conditions environnementales, telles que les précipitations, affectent la stabilité des espèces socialement monogames », explique Frigg Speelman, doctorante en écologie comportementale à l’Université Macquarie et co-autrice de l’étude. Les oiseaux comme la rousserolle des Seychelles sont en effet particulièrement sensibles à ces changements, car comme de nombreuses espèces, leurs stratégies reproductives sont étroitement liées aux conditions environnementales. Or, ces résultats suggèrent que ces changements pourraient encore accentuer le stress sur leur succès reproducteur et la stabilité de leurs populations, déjà fortement affaiblies par le passé.
À l’heure où les événements climatiques extrêmes se multiplient, d’autres bouleversements encore plus marqués dans les structures sociales de nombreuses espèces sont forcément à attendre, ce qui risque d’affecter non seulement leur survie, mais aussi les écosystèmes tout entiers qu’elles habitent. Ce genre d’étude fournit ainsi des informations cruciales aux conservateurs qui travaillent à protéger ces espèces très sensibles à leur environnement, et notamment des populations isolées comme celle-ci qui ne peuvent se déplacer pour s’adapter.