Plutôt répandu en France et bien connu pour les belles couleurs vives qui parent son plumage bigarré, le geai des chênes (Garrulus glandarius) est un grand passereau qui fait partie de la famille des corvidés. Il possède plusieurs particularités étonnantes. Par exemple, il est assez bavard et peut lancer des cris rauques désagréables lorsqu’il se sent en danger, agissant ainsi comme une véritable sentinelle forestière pour tous les animaux qui l’entourent. Pendant la saison des amours, ces cris très reconnaissables se transforment en des gloussements plus mélodieux. Il a également un talent certain pour imiter les cris des autres oiseaux (comme la buse variable) ou encore de mammifères tels que le chat pour intimider d’éventuels prédateurs. Ses talents ne se limitent toutefois pas aux cris et au chant. Une nouvelle étude vient en effet de révéler une autre capacité passionnante de cet oiseau incroyable.
La mémoire épisodique n’existerait pas que chez les humains
Les humains sont capables de voyager mentalement dans le temps, une capacité nommée chronesthésie en lien direct avec la mémoire épisodique. Lorsqu’ils se remémorent des événements ou expériences passés, cela leur permet ainsi de se rappeler de détails qui pouvaient sembler sans importance à l’époque. « Lorsque nous nous souvenons d’une expérience spécifique, nous pouvons nous souvenir de détails de cette expérience qui n’avaient aucune importance pour nos besoins, nos pensées ou nos désirs à ce moment-là. Ces informations « accessoires » sont néanmoins encodées automatiquement comme faisant partie du souvenir et sont ensuite remémorées lorsque l’on se souvient d’un moment », détaillent les chercheurs.

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Crédits : fizkes / iStockLa science a longtemps pensé que seuls les humains possèdent ce talent. Toutefois, des études ont au fil de temps nuancé cette vision, démontrant que les rats et d’autres animaux encore étaient également dotés d’une mémoire épisodique à leur échelle. Ces nouveaux travaux parus le 15 mai 2024 dans le journal Plos One et menés par l’Université de Cambridge (Angleterre) en apportent d’ailleurs une preuve de plus, cette fois chez le geai des chênes.
Doté d’un bec dur et puissant qui lui permet de se nourrir des glands dont il est friand, cet animal s’en prépare de généreuses réserves bien cachées, à tel point qu’il finit par ne pas pouvoir tout manger. Les glands restants vont alors germer et aider le chêne à prospérer grâce à de nouvelles pousses. L’équipe était donc notamment intriguée par le fait que ces oiseaux savent se souvenir très précisément de leurs cachettes de nourriture, laissant justement suggérer qu’ils ont évolué pour développer une bonne mémoire épisodique. Pour investiguer un peu plus le sujet et mieux comprendre les capacités de mémorisation de cet oiseau réputé pour sa grande intelligence, les chercheurs lui ont fait passer des tests.
Un oiseau avec de véritables capacités de mémorisation
Pour ces expériences, les oiseaux pouvaient voir de la nourriture (des vers) se faire placer sous un récipient placé sur une ligne avec trois autres gobelets rouges identiques. Ils étaient ensuite récompensés lorsqu’ils arrivaient à trouver le bon récipient. Rapidement, les chercheurs ont ainsi réussi à les entraîner à identifier le récipient simplement en mémorisant sa position sur la ligne.
L’équipe a alors décidé de complexifier la tâche sans préparer les oiseaux. Dans la seconde partie de l’expérience, la récompense était cette fois placée sous des gobelets qui présentaient tous des caractéristiques visuelles bien visibles permettant de les différencier. Après avoir observé le gobelet sous lequel étaient placés les vers, les geais étaient séparés dans une autre pièce pendant une dizaine de minutes, le temps pour les scientifiques de mélanger les gobelets. Malgré l’attente et le réarrangement des récipients, en revenant dans la pièce, les oiseaux ont été capables dans 70 % des cas de retrouver le bon gobelet rien qu’en se basant sur les détails présents à sa surface.

Que nous apprennent ces tests chez cet oiseau ?
Ces observations sont significatives puisque les oiseaux n’avaient été entraînés qu’à retrouver spatialement la récompense, sans se concentrer sur le récipient lui-même. Lors du deuxième test, ils n’avaient donc aucune raison particulière de se souvenir des formes présentes sur les récipients utilisés, chose qu’ils ont pourtant été capables de faire. « Comme les geais étaient capables de se souvenir de détails qui n’avaient aucune valeur ou pertinence spécifique au moment où le souvenir a été créé, cela suggère qu’ils sont capables d’enregistrer, de se rappeler et d’accéder à des informations non primordiales lorsqu’ils tentent de se les rappeler », concluent les chercheurs. Cela démontre ainsi qu’ils sont eux aussi capables de chronesthésie.
Toutefois, l’équipe insiste sur le fait que « même si cette étude fournit des preuves convaincantes suggérant que les geais des chênes peuvent encoder, retenir et accéder à des informations visuelles anodines, cette capacité pourrait être limitée aux informations associées à la cache de nourriture et n’est peut-être pas aussi flexible que l’est la mémoire épisodique humaine ». Des tests supplémentaires seront donc nécessaires pour déterminer si cet oiseau peut utiliser sa mémoire pour autre chose que la nourriture.
Cela reste en tout cas une preuve de plus que les animaux sont capables d’intelligence et sont dotés de capacités fascinantes autrefois considérées comme uniques à l’humain.