Océan : voici à quoi pourraient ressembler les zones mortes du futur

Répartition des zones déficitaires en oxygène dissous lors du Pliocène (tons en rouge foncé et en noir). Crédits : Catherine V. Davis & coll. 2023.

Afin d’anticiper la façon dont les zones mortes devraient évoluer avec la poursuite du changement climatique, des chercheurs se sont tournés vers le passé, plus précisément vers le climat du Pliocène. Il s’agit d’un moment où la température moyenne de la Terre était de plusieurs degrés supérieure à l’actuelle. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications ce 4 janvier.

Un des effets du réchauffement climatique sur l’océan est de favoriser la croissance de zones de minimum d’oxygène, aussi appelées zones mortes, c’est-à-dire des régions de l’océan où les eaux intermédiaires sont déficitaires en oxygène dissous. Ces régions s’étendent de cent à mille mètres de profondeur et sont particulièrement inhospitalières pour la vie marine. En gagnant en volume, elles grignotent ainsi les aires de répartition de nombreuses espèces.

Parmi les mécanismes en cause, deux effets principaux se conjuguent :  d’une part, les eaux plus chaudes peuvent dissoudre moins d’oxygène et d’autre part, en se réchauffant par le haut, l’océan augmente sa stratification, ce qui implique un mélange moins important entre les couches supérieures et inférieures. Les océanographes disent que l’océan intermédiaire est moins ventilé.

Une cartographie inédite des zones mortes au Pliocène

Dans une nouvelle étude, des chercheurs ont reconstruit la taille et l’emplacement des zones de minimum d’oxygène lors du Pliocène, une période où le climat mondial était 2 °C à 3 °C plus chaud que le préindustriel (1850-1900). Les résultats permettront de mieux anticiper l’évolution attendue dans le cadre du réchauffement futur en cas de poursuite des émissions de gaz à effet de serre.

« Ces zones sont très importantes pour le cycle géochimique de l’océan », relate Catherine Davis, auteure principale de l’étude. « Elles se trouvent dans des zones où la lumière du soleil et le dioxygène atmosphérique ne pénètrent pas. Leur emplacement détermine où le carbone et l’azote (un élément nutritif essentiel à toute vie sur Terre) sont disponibles dans l’océan ; ce sont donc d’importants moteurs des cycles nutritifs ».

zones mortes
Contenu des eaux intermédiaires (ici, à 600 mètres de profondeur) en oxygène dissous pour le climat actuel (a) et le climat du Pliocène (b). Les zones mortes apparaissent en rouge foncé et en noir. Crédits : Catherine V. Davis & coll. 2023.

Or, lors du climat chaud du Pliocène, il y a 5,3 à 2,3 millions d’années, les zones de minimum d’oxygène étaient significativement plus étendues dans l’Atlantique, en particulier dans l’Atlantique Nord, mais sensiblement réduites dans le Pacifique Nord. « Il s’agit de la première reconstruction spatiale mondiale des zones de minimum d’oxygène dans le passé », note la chercheuse. Selon elle, ces résultats donnent donc une idée de ce à quoi l’Atlantique pourrait ressembler en fin de siècle.

Les foraminifères comme grille de lecture

Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs se sont basés sur des fossiles de foraminifères, des micro-organismes à coquilles carbonatées ou silicatées très répandus dans l’océan. En sombrant vers les profondeurs et en s’incorporant aux sédiments, les coquilles de foraminifères offrent des archives naturelles très précieuses. Grâce à l’analyse de la teneur des sédiments marins en une espèce de foraminifère capable de vivre dans les zones de minimum d’oxygène, les scientifiques ont pu déterminer la répartition de ces dernières dans le passé et à l’échelle mondiale.

L’étude indique que le facteur clé qui détermine si une région connaît plutôt une extension, une stagnation ou une contraction de ces zones déficitaires en oxygène est la circulation océanique des eaux intermédiaires. « Nous pourrions également observer des changements subtils mais profonds concernant les quantités de nutriments disponibles pour la vie dans ces eaux de surface, ainsi que l’endroit où le CO2 absorbé par l’océan est stocké », ajoute Catherine Davis.