Des scientifiques découvrent des milliers de nouvelles espèces chaque année (parfois bizarres à l’instar de ce ver marin doté d’yeux géants ou de ce requin fantomatique). Toutefois, ces rainettes ont une caractéristique unique : elles rendent hommage à Star Trek avec leurs sons d’un autre monde. En effet, une équipe internationale de chercheurs a découvert sept nouvelles espèces de grenouilles qui émettent des appels semblant tout droit sortis de cette série de science-fiction dans les forêts tropicales de Madagascar. Pour faire un clin d’œil à ces sifflements aigus étranges, les chercheurs ont nommé les nouvelles espèces d’après sept des capitaines les plus emblématiques de cette célèbre série dans leur étude publiée le 15 octobre dans la revue Vertebrate Zoology.
Si vous pensez que toutes les grenouilles coassent, vous avez tort.
Si vous vous aventurez dans les recoins reculés des forêts tropicales de Madagascar, il se peut que vous vous laissiez surprendre par l’une de ces sept nouvelles espèces récemment découvertes qui émettent des sons sifflants des plus insolites. Certains y verraient des coassements qui ressemblent davantage à un oiseau ou un insecte. Néanmoins, les fans de Star Trek risquent de reconnaître dans ces appels des sifflements et bips futuristes qui rappellent le tricordeur et les effets sonores de cette série mythique.
Il n’en fallait pas plus pour que Mark Scherz et Miguel Vences, les deux auteurs principaux de cette étude décident de nommer ces nouvelles espèces en l’honneur de ce monument de la Science-Fiction, les deux s’étant rapidement liés grâce à leur amour de la série lorsque Scherz commençait sa carrière de chercheur. « C’est pourquoi nous avons nommé les grenouilles d’après Kirk, Picard, Sisko, Janeway, Archer, Burnham et Pike, sept des capitaines les plus emblématiques de la série de science-fiction », explique le professeur Miguel Vences de l’Université technique à Brunswick, en Allemagne.
Les noms scientifiques officiels de ces grenouilles seront ainsi Boophis kirki, Boophis picardi, Boophis siskoi, Boophis janewayae, Boophis archeri, Boophis pikei et Boophis burnhamae.
Une exploration dans les confins de la forêt tropicale
« Non seulement ces grenouilles ressemblent à des effets sonores de Star Trek, mais il est aussi plutôt raccord que pour les trouver, il faille souvent faire pas mal de trekking. Quelques espèces se trouvent bien dans des endroits accessibles aux touristes, mais pour en trouver plusieurs, nous avons dû entreprendre de grandes expéditions dans des fragments de forêt reculés et sur des sommets montagneux. Il y a un vrai sens de la découverte et de l’exploration scientifique ici, ce qui, selon nous, est dans l’esprit de Star Trek », s’amuse le professeur adjoint Mark D. Scherz du Musée d’Histoire Naturelle du Danemark à l’Université de Copenhague.
« Star Trek, c’est la science, la découverte, l’exploration et l’importance de ces choses pour l’humanité et notre place dans l’univers », ajoute-t-il.
Des grenouilles qui se ressemblent vraiment beaucoup
Boophis marojezensis est une petite grenouille brunâtre découverte dans les forêts humides de Madagascar. Elle a été décrite pour la première fois en 1994, mais au fil du temps, les chercheurs ont commencé à se demander si cet amphibien aux yeux de chiot n’était pas en réalité plus d’une espèce. Pour le découvrir, Scherz et ses collègues ont recueilli autant de données que possible auprès de différents individus de B. marojezensis collectés au cours de trois décennies. Ils ont enregistré et analysé les appels des grenouilles, comparé leurs caractéristiques physiques et séquencé leur ADN.
Leurs résultats ont montré que ce qui était auparavant considéré comme une seule espèce de grenouille est en fait huit espèces différentes. Physiquement, elles se ressemblent presque toutes. Toutefois, « les différences clés résident dans les sons qu’elles émettent. Leurs appels stridents, aigus et sifflants diffèrent à la fois en hauteur et en timing des sifflements », affirme Scherz. Le séquençage de l’ADN a également montré des différences génétiques, confirmant qu’il s’agit d’espèces distinctes.
Différentes espèces de rainettes, mais une chose en commun : leur mode de communication
Les membres du genre Boophis sont des rainettes au comportement reproductif relativement généralisé. Ces individus pondent généralement leurs œufs dans l’eau des ruisseaux ou des étangs où leurs têtards se développent, mais surtout, de nombreuses espèces de Boophis sont très vocales dans leur manière de communiquer.
Ces bruits forts et distincts (et vraiment étranges), connus sous le nom d’appels publicitaires, constituent une forme d’autopromotion qui pourrait selon les chercheurs fournir des informations sur l’aptitude du mâle à être un bon partenaire pour les femelles. Or, ce groupe particulier vit le long de ruisseaux à écoulement rapide dans les régions les plus montagneuses de Madagascar, un fond sonore bruyant qui pourrait expliquer pourquoi les grenouilles appellent à des hauteurs aussi élevées.
« Si les grenouilles se contentaient de coasser comme nos grenouilles européennes familières, elles ne seraient peut-être pas audibles par-dessus le bruit de l’eau courante des rivières près desquelles elles vivent. Leurs trilles aigus et leurs sifflements se distinguent au milieu de tout ce bruit », explique ainsi le Dr Jörn Köhler, conservateur principal de zoologie des vertébrés au Musée régional de la Hesse de Darmstadt, en Allemagne, qui a joué un rôle clé dans l’analyse des appels des grenouilles.
Des grenouilles malheureusement vulnérables
Madagascar, une île de la taille de la France, est réputée pour son immense biodiversité et la recherche dans ses forêts tropicales continue de révéler des espèces cachées. Ce lieu abrite environ 9 % de toutes les espèces de grenouilles du monde. On y compte par ailleurs déjà plus de 400 espèces d’amphibiens répertoriées et Scherz suppose qu’il pourrait y en avoir beaucoup plus.
« Nous n’avons fait qu’effleurer la surface de ce que les forêts tropicales de Madagascar ont à offrir. Chaque fois que nous allons dans la forêt, nous trouvons de nouvelles espèces et juste en termes de grenouilles, il reste encore plusieurs centaines d’espèces que nous n’avons pas encore décrites », estime la professeure Andolalao Rakotoarison de l’Université d’Itasy à Madagascar. Rien qu’au cours des dix dernières années, elle et le reste de cette équipe ont notamment décrit environ 100 nouvelles espèces insulaires locales.
Les chercheurs à l’origine de cette découverte espèrent en tout cas que ces nouvelles connaissances renforceront les efforts de conservation dans les forêts tropicales locales. Les espèces vivent en effet souvent à proximité géographique les unes des autres, mais à des altitudes et dans des micro-habitats différents. Cette division les rend ainsi particulièrement vulnérables aux changements climatiques ou environnementaux.
L’équipe appelle donc à une plus grande sensibilisation à la conservation de la biodiversité de Madagascar afin d’assurer la préservation pour l’avenir de ces espèces uniques et leurs habitats. Néanmoins, cela ne va pas empêcher les experts de continuer à explorer cette zone pour chercher de nouvelles espèces dans des forêts où aucun scientifique n’est encore allé…