Nous pourrions avoir capté le signal d’un univers parallèle en 2019, et personne ne s’en est rendu compte

Le 21 mai 2019, les détecteurs d’ondes gravitationnelles LIGO et Virgo ont enregistré quelque chose d’étrange. Un signal de 0,1 seconde, sans début ni fin classique, qui ne ressemble à rien de ce que la physique connaît. Cinq ans plus tard, une équipe de chercheurs avance une hypothèse vertigineuse : et si ce flash gravitationnel provenait d’un trou de ver reliant notre univers à un autre ? Une idée qui semblerait tout droit sortie de la science-fiction, si elle n’était pas soutenue par des calculs mathématiques rigoureux.

Les chasseurs d’ondulations de l’espace-temps

Pour comprendre l’ampleur de cette découverte potentielle, il faut d’abord saisir ce que sont LIGO et Virgo. Ces installations scientifiques comptent parmi les instruments les plus sensibles jamais construits par l’humanité. Leur mission ? Détecter les ondes gravitationnelles, ces ondulations de l’espace-temps prédites par Einstein en 1916.

Le concept peut sembler abstrait, mais il est en réalité assez simple à visualiser. Imaginez l’espace-temps comme une toile élastique. Lorsque des objets massifs se déplacent ou fusionnent violemment, ils créent des vagues dans cette toile, exactement comme un caillou jeté dans l’eau provoque des rides circulaires.

Le dispositif de LIGO repose sur deux bras perpendiculaires de 4 kilomètres chacun. Des faisceaux laser circulent entre des miroirs situés aux extrémités de ces bras. Lorsqu’une onde gravitationnelle traverse la Terre, elle étire légèrement l’espace dans une direction et le compresse dans l’autre. Ce mouvement infime fait osciller les miroirs, modifiant la distance que le laser doit parcourir.

À quel point infime ? Nous parlons de variations inférieures à un dix-millième de la largeur d’un proton. Pour mettre cela en perspective, c’est comme mesurer la distance entre la Terre et l’étoile la plus proche avec une précision équivalente à l’épaisseur d’un cheveu humain.

observatoire d'ondes gravitationnelles
Crédit : Encyclopædia Britannica
L’observatoire d’ondes gravitationnelles LIGO.

Un palmarès impressionnant

Depuis sa première détection confirmée en 2015, le réseau LIGO-Virgo-KAGRA a enregistré environ 300 événements gravitationnels. La plupart proviennent de fusions de trous noirs, ces monstres cosmiques si denses que même la lumière ne peut s’en échapper. D’autres signaux correspondent à des collisions d’étoiles à neutrons ou à des fusions hybrides entre trous noirs et étoiles à neutrons.

Ces détections ont révolutionné notre compréhension de l’univers. Elles confirment non seulement la théorie de la relativité générale d’Einstein, mais nous permettent aussi d’observer des phénomènes invisibles par les télescopes traditionnels. Les trous noirs, par définition, n’émettent aucune lumière. Mais leurs fusions produisent des ondes gravitationnelles détectables à des milliards d’années-lumière.

Lors de la quatrième campagne d’observation, achevée récemment, le réseau a découvert plus de 200 fusions candidates, soit plus du double du nombre détecté lors des trois premières campagnes combinées. L’efficacité du système s’améliore constamment.

GW190521 : le signal qui ne rentre dans aucune case

Parmi ces centaines de détections, l’événement GW190521 se distingue par son étrangeté. Capté le 21 mai 2019, ce signal dure à peine un dixième de seconde. Mais ce n’est pas sa brièveté qui intrigue les chercheurs.

Une fusion classique de trous noirs produit une signature caractéristique en trois phases : d’abord une longue spirale d’approche alors que les deux objets se rapprochent, puis l’explosion de la fusion elle-même, et enfin l’oscillation du trou noir résultant qui se stabilise. Les physiciens appellent cela la morphologie « inspiral-merger-ringdown ».

GW190521 ne présente aucune de ces phases. Pas de spirale d’approche, pas de stabilisation finale. Juste une explosion brutale et isolée, comme si quelqu’un avait frappé une cloche cosmique sans préambule.

Cette absence de signal précurseur suggère que ce flash gravitationnel ne provient pas d’un processus standard de coalescence de trous noirs. Mais alors, quelle est son origine ?

L’hypothèse du trou de ver

C’est là qu’intervient la proposition audacieuse d’une équipe de chercheurs dans un article non encore évalué par des pairs. Leur hypothèse : GW190521 pourrait être le premier signal détecté d’un trou de ver.

Les trous de ver sont des structures théoriques proposées pour la première fois par Einstein et le physicien Nathan Rosen en 1935. Imaginez-les comme des tunnels dans l’espace-temps, reliant deux points éloignés de notre univers, ou même notre univers à un autre univers parallèle. Ils figurent régulièrement dans la science-fiction, mais n’ont jamais été observés dans la réalité.

Voici le scénario proposé par l’équipe : quelque part dans un autre univers, deux trous noirs ont fusionné. Cette fusion a produit des ondes gravitationnelles qui résonnent dans le trou noir résultant. Certaines de ces oscillations ont traversé un trou de ver reliant cet univers au nôtre. En émergeant de notre côté, elles ont créé cette impulsion isolée que LIGO a captée.

Selon leur modélisation, ce scénario pourrait expliquer les caractéristiques inhabituelles de GW190521 : la brièveté du signal, l’absence de phase précurseur, et son intensité particulière.

trous de ver trous noirs trous blancs
Source: DR
Crédits : estt/istock

Prudence scientifique de rigueur

Aussi fascinante soit-elle, cette hypothèse demande à être prise avec des pincettes. Les chercheurs eux-mêmes reconnaissent que leur modèle de trou de ver ne correspond pas mieux aux données observées qu’une fusion de trous noirs particulièrement inhabituelle.

En science, le rasoir d’Occam s’applique : entre deux explications, on privilégie généralement la plus simple. Une fusion de trous noirs exotique, même si elle défie certains modèles d’évolution stellaire, reste plus plausible qu’un trou de ver inter-univers.

Cependant, l’équipe souligne qu’un événement similaire, GW231123, a été détecté le 23 novembre 2023. Deux signaux mystérieux aux caractéristiques comparables pourraient indiquer un phénomène récurrent méritant une attention particulière.

Et maintenant ?

Les chercheurs, qui publient leurs travaux sur le site de pré-impression arXiv, appellent à une modélisation plus approfondie et à une comparaison systématique entre différentes hypothèses. Avec l’amélioration continue de la sensibilité des détecteurs et l’accumulation de données, nous pourrions bientôt être en mesure de trancher.

Si l’hypothèse du trou de ver se confirme, ce serait l’une des découvertes les plus révolutionnaires de l’histoire de la physique. Non seulement cela prouverait l’existence de ces structures mythiques, mais cela ouvrirait aussi la possibilité vertigineuse que d’autres univers existent et soient accessibles, au moins par leurs signatures gravitationnelles.

Pour l’instant, nous en sommes au stade de la spéculation éclairée. Mais c’est précisément ainsi que fonctionnent les grandes avancées scientifiques : une observation inexpliquée, une hypothèse audacieuse, puis des années de tests rigoureux pour départager le fantasme de la réalité.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.