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Notre planète est en train de s’assécher : des scientifiques révèlent une perte d’eau douce qui dépasse toutes les alertes précédentes

Une perte silencieuse, invisible à l’œil nu, est en train de transformer la Terre. Depuis plus de vingt ans, l’eau douce s’évanouit peu à peu des continents, emportée par le changement climatique, les sécheresses et une exploitation effrénée des nappes phréatiques. Aujourd’hui, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : c’est l’ensemble de notre sécurité hydrique mondiale qui vacille.

L’alerte vient d’une vaste étude menée par l’Université d’État de l’Arizona, publiée dans la revue Science Advances. Grâce à deux décennies de données issues des satellites GRACE et GRACE-FO, les chercheurs ont pu analyser avec une précision inédite l’évolution du stockage de l’eau terrestre. Le constat est sans appel : les continents se dessèchent à un rythme alarmant, et cette tendance s’accélère.

Un monde qui perd son eau

Depuis 2002, 75 % de la population mondiale vit dans des pays qui perdent plus d’eau douce qu’ils n’en récupèrent. Cette raréfaction touche toutes les composantes de l’eau terrestre : rivières, lacs, humidité du sol, neige… mais surtout les nappes phréatiques, qui représentent la majorité de cette perte.

C’est un basculement discret, mais d’une portée colossale. Les zones arides progressent rapidement : chaque année, c’est l’équivalent de deux fois la surface de la Californie qui devient plus sèche. Autre fait marquant, le phénomène s’est inversé : les zones sèches s’assèchent plus vite que les zones humides ne s’humidifient. Autrement dit, le monde devient globalement plus sec.

Quatre régions entrent en « méga-assèchement »

Les chercheurs ont identifié quatre vastes zones continentales où l’assèchement devient critique :

  • Le sud-ouest de l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale, incluant des régions stratégiques pour la production alimentaire et des mégapoles comme Los Angeles, Phoenix ou Mexico.

  • L’Alaska et le nord du Canada, où les glaciers fondent à vue d’œil et où les terres agricoles souffrent de sécheresses prolongées.

  • Le nord de la Russie, fortement touché par la fonte du pergélisol.

  • Le grand bassin eurasiatique, qui englobe le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Europe du Sud et une partie de l’Asie centrale, avec des villes majeures comme Le Caire, Téhéran, Barcelone, Pékin ou Paris.

Ces régions représentent des points névralgiques pour la stabilité géopolitique, la production alimentaire et la gestion des ressources naturelles.

Le rôle majeur des nappes phréatiques

L’un des enseignements les plus alarmants de cette étude concerne les nappes souterraines. Les scientifiques ont découvert que 68 % de la perte d’eau douce terrestre depuis 2002 provient des eaux souterraines, ces réserves accumulées sur des milliers d’années.

Ce chiffre dépasse même la contribution combinée du Groenland et de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer. En pompant de manière incontrôlée cette ressource invisible, l’humanité accélère une montée des eaux qui menace les zones côtières et rend l’eau douce plus rare là où elle est déjà en tension.

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Une bascule autour de 2014

Les données satellitaires révèlent un tournant crucial autour des années 2014-2015, période marquée par un épisode climatique majeur : un « méga El Niño ». À partir de là, les cycles hydrologiques changent radicalement. Les sécheresses s’aggravent, la fonte des glaces s’accélère, et l’extraction d’eau souterraine grimpe en flèche.

Autre surprise : les régions touchées par l’assèchement ont changé d’hémisphère. Jusqu’en 2014, le sud de la planète était le plus affecté. Depuis, le phénomène s’est déplacé vers l’hémisphère nord, là où se concentre une grande partie de l’activité humaine.

Des conséquences globales et interconnectées

Ce phénomène n’est pas qu’un problème de climat ou de gestion locale. C’est un risque systémique mondial. L’assèchement des continents menace directement la production agricole, la disponibilité en eau potable, la biodiversité, et la stabilité économique et politique de nombreuses régions.

Selon les chercheurs, cette perte d’eau douce pourrait rapidement devenir l’un des moteurs majeurs de conflits, de migrations forcées et de crises humanitaires si rien n’est fait.

Un appel à l’action immédiate

L’étude ne se limite pas à dresser un constat. Elle lance un appel pressant aux décideurs : il est impératif de repenser en profondeur notre gestion des ressources en eau. Cela signifie :

  • Mettre en place des politiques de soutien aux nappes phréatiques, notamment via la recharge artificielle pendant les années humides.

  • Réduire la dépendance agricole à l’irrigation non durable.

  • Renforcer les coopérations internationales autour de l’eau.

  • Améliorer la surveillance hydrologique grâce aux données satellites et aux mesures de terrain.

Pour Jay Famiglietti, auteur principal de l’étude, « les conséquences d’une exploitation non maîtrisée de l’eau pourraient compromettre la sécurité alimentaire et hydrique de milliards de personnes. Il faut agir maintenant. »

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.