Chez l’humain, une simple plaie peut prendre des semaines à cicatriser. Pourtant, chez nos plus proches cousins du règne animal, les blessures comparables guérissent bien plus rapidement. C’est ce que révèle une étude publiée dans Proceedings of the Royal Society B, qui montre que les humains cicatrisent environ trois fois plus lentement que les chimpanzés — et plus lentement que tous les primates non humains testés. Cette découverte interpelle : comment une espèce qui a conquis le monde et développé des technologies avancées pourrait-elle présenter un processus de cicatrisation aussi inefficace ?
Une lenteur propre à l’espèce humaine
Pour arriver à ce constat, les chercheurs ont comparé les taux de guérison de plaies similaires entre plusieurs espèces : babouins, vervets, cercopithèques et chimpanzés, ainsi que des humains. Chez les primates non humains, les plaies étaient créées dans des conditions contrôlées, et leur évolution suivie grâce à des mesures et photographies régulières. Chez l’humain, les données provenaient de patients ayant subi des chirurgies dermatologiques mineures, avec un suivi photo journalier.
Résultat : toutes les espèces de primates non humains guérissent à un rythme similaire — mais l’humain sort du lot avec une guérison trois fois plus lente. Cette spécificité suggère que la lente cicatrisation n’est pas un trait hérité de nos ancêtres communs, mais plutôt une adaptation apparue tardivement dans notre évolution, après la séparation d’avec la lignée des chimpanzés il y a environ 6 millions d’années.
Pourquoi l’évolution aurait-elle ralenti notre guérison ?
Biologiquement, une guérison lente est un handicap : elle augmente le risque d’infection, prolonge la douleur, limite la mobilité et demande davantage de ressources métaboliques. C’est tout sauf avantageux dans un environnement où la survie dépendait de la chasse, de la fuite ou de la protection contre les prédateurs.
Alors pourquoi cette lenteur aurait-elle persisté chez Homo sapiens ?
Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses. L’une concerne les caractéristiques uniques de notre peau : comparée à celle des autres primates, elle est moins poilue, plus épaisse, plus vascularisée, et surtout truffée de glandes sudoripares. Cette densité de glandes, utile pour la thermorégulation, pourrait s’être développée au détriment de la pilosité, rendant la peau plus vulnérable — et nécessitant une structure cutanée plus robuste mais moins rapide à cicatriser.

La civilisation aurait-elle changé les règles du jeu ?
Un autre facteur pourrait expliquer cette lente évolution : la culture et la vie en société. Contrairement aux autres animaux, les humains vivent en groupes organisés et ont depuis très longtemps mis en place des formes de soins collectifs. Le soutien des autres, la fabrication de pansements rudimentaires, ou l’usage de plantes médicinales auraient réduit la pression sélective en faveur d’une cicatrisation rapide.
Autrement dit, notre intelligence sociale aurait permis d’alléger les contraintes biologiques — au point que la vitesse de guérison ne représentait plus un critère décisif pour la survie.
Une piste pour la médecine de demain ?
Ces résultats ouvrent un nouveau champ de réflexion biomédicale. Si nous comprenons mieux les mécanismes précis qui ralentissent la cicatrisation humaine — qu’ils soient d’origine génétique, cellulaire, ou structurelle — nous pourrions les corriger ou les contourner, notamment pour les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques.
L’étude appelle à une exploration pluridisciplinaire : en croisant les données génétiques, l’étude des fossiles, et l’anatomie comparée, les scientifiques espèrent éclairer cette singularité humaine. Car, comme souvent, ce qui fait notre faiblesse pourrait bien, à terme, nourrir nos avancées thérapeutiques.
