Les noms des plantes, algues et champignons sont généralement choisis selon les règles de la nomenclature binomiale établie par Carl von Linné. Ils se composent de deux parties : il y a d’une part le genre (qui regroupe des espèces proches) et l’espèce (unique). Souvent dérivés du latin ou du grec, ils peuvent refléter des caractéristiques physiques, des habitats ou honorer des personnes importantes (par exemple la personne à l’origine de la découverte ou un botaniste célèbre). En 2017, puis en 2018, nous avions eu deux exemples insolites inspirés de Donald Trump : le Neopalpa donaldtrumpi (un papillon à coiffe jaune) et le Dermophis donaldtrumpi, un amphibien aveugle. Néanmoins, certains noms choisis par le passé ne passent plus et la communauté scientifique a voté pour débaptiser des plantes aux dénominations jugées racistes ou peu politiquement correctes. Toutefois, cette décision ne fait pas l’unanimité…
Des noms jugés racistes ou problématiques bientôt remplacés
Tout le beau monde de la sphère botanique et horticole mondiale se réunit du 21 au 27 juillet 2024 à Madrid (Espagne) pour des colloques, des conférences, des journées d’étude et des évènements en lien avec ces spécialités scientifiques. Si ce congrès fait généralement peu de bruit, un vote qui vient d’y être adopté de justesse a fait l’évènement dans les médias. Une mesure qui devait recueillir une super-majorité avec un minimum de 60 % des suffrages pour passer vient en effet d’être acceptée avec 63 % de votes favorables au sein de cette cohorte de 556 spécialistes. Avec 351 botanistes pour et 205 contre, l’objet du vote de ce 18 juillet était un changement de nom pour plus des centaines espèces de plantes, de champignons et d’algues qui portent un nom à connotation raciste.
De Caffra à Affra
Dans le viseur de Gideon Smith, un taxonomiste à l’Université Nelson Mandela en Afrique du Sud, et de sa collègue Estrela Figueiredo, tous deux à l’origine de cette proposition, se trouvaient plus particulièrement les noms contenant le mot latin « caffra ». Au cours de l’histoire, ce terme péjoratif issu de l’arabe « kafir » (qui signifie non-croyant) et associé à un imaginaire raciste portant la notion de supériorité blanche était en effet utilisé contre les noirs, jugés comme faisant partie de la race inférieure, notamment en Afrique australe et durant l’apartheid en Afrique du Sud.
Avec ce vote, les noms passeront de « Caffra » à « Affra » de manière à revendiquer l’origine africaine des plantes en question. Erythrina Caffra, Protea Caffra ou encore Dovyalis Caffra par exemple devraient donc changer de nom d’ici la fin du mois pour passer respectivement à Erythrina Affra, Protea Affra et Dovyalis Affra. « Nous sommes satisfaits de la suppression d’une insulte raciste des noms scientifiques des plantes, des algues et des champignons. Et nous sommes contents de voir que plus de 60 % de la communauté botanique mondiale s’est exprimée en faveur de notre proposition », s’était exclamé Gideon Smith auprès du Times.
Un changement finalement assez limité
Les botanistes visaient aussi à changer d’autres noms portant notamment les patronymes de personnages esclavagistes ou opposés à l’abolition de l’esclavage. C’est notamment le cas d’Hibbertia dont le nom s’inspirait de George Hibbert, un membre du lobby pro-esclavagiste de Grande-Bretagne. Néanmoins, ce ne sera pas pour tout de suite.
À la base, ils voulaient proposer la création d’un comité spécial pour statuer sur la dénomination éthique des plantes anciennement nommées. Cette proposition a toutefois été amendée et ce sont à présent toutes les nouvelles plantes à partir de 2026 dont le nom sera vérifié par le même comité qui s’occupe de vérifier si les plantes nouvellement découvertes n’avaient pas déjà été nommées par le passé afin de s’assurer que les dénominations choisies n’ont pas un caractère dérogatoire pouvant affecter un groupe ou une race en particulier.
Les botanistes n’ont donc pas pu se mettre d’accord sur d’autres changements de noms controversés et apporter un changement plus important et global. Néanmoins, il est à noter que cette petite avancée signe la toute première altération acceptée dans le monde de la taxonomie. « Il s’agit d’un premier pas monumental pour soulever une question qui est devenue un vrai problème en botanique et dans les autres sciences biologiques. C’est un début très important », estime Sandy Knapp du Musée d’Histoire Naturelle de Londres qui préside l’évènement cette année.
L’idée des plantes débaptisées ne fait pas l’unanimité
L’adoption de cette mesure a fortement divisé les participants à l’évènement, et plus globalement le monde scientifique. Certains estiment notamment que la nomination scientifique ne devrait pas se laisser influencer pas les mouvements sociaux. D’autres spécialistes évoquent des risques d’un tout autre ordre, notamment avec le danger de créer de la confusion. « Même de petits changements peuvent avoir des répercussions, des circonstances imprévues qui entraînent des coûts et des difficultés pour tout le monde », explique notamment Quentin Groom, du jardin botanique de Meise (Belgique). Beaucoup de biologistes s’inquiètent surtout des erreurs dans les bases de données que de tels changements pourraient engendrer avec, à la longue, le risque de nuire à des espèces en danger qui pourraient subir les conséquences de malentendus dans les cadres légaux.
Cette décision historique va en tout cas à l’encontre de la position actuelle de la Commission Internationale de la nomenclature zoologique (ICZN), l’« autorité garante de l’utilisation correcte des noms scientifiques des animaux et qui avait annoncé [l’année dernière, NDLR] qu’elle n’envisagerait pas de changer les noms d’animaux en raison d’une connotation jugée offensante ». Dans le monde animal, nombre d’espèces portent en effet des noms inspirés de personnages racistes, fascistes ou controversés. Anophthalmus hitleri, un coléoptère tout brun nommé d’après Adolf Hitler ou encore Hypopta mussolinii, un papillon qui porte le nom de Mussollini, garderont donc cette dénomination pendant quelque temps encore, même si des voix scientifiques s’élèvent de plus en plus pour faire évoluer les choses.