Le prix Nobel de physique 2023 vient d’être décerné à trois scientifiques ayant développé de nouveaux outils permettant d’explorer le monde des électrons à l’intérieur des molécules et des atomes.
Trois nouveaux lauréats
Après la médecine, place à la physique. Il y a trois ans, trois lauréats s’étaient partagé la récompense pour leurs découvertes sur les trous noirs. Il y a deux ans, le comité avait récompensé plusieurs études portant sur les phénomènes chaotiques et apparemment aléatoires notoirement difficiles à appréhender. En 2022, le Nobel de physique revenait cette fois à trois chercheurs pour leurs expériences utilisant des états quantiques intriqués.
Pour cette édition 2023, le comité a décidé de récompenser les chercheurs Pierre Agostini, Ferenc Krausz et Anne L’Huillier pour avoir démontré un moyen de créer des impulsions lumineuses extrêmement courtes (mesurées en attosecondes, soit un quintillionième de seconde) pouvant être utilisées pour mesurer les processus rapides dans lesquels les électrons se déplacent ou changent d’énergie. Les trois lauréats se partageront la somme de 11 millions de couronnes suédoises (environ 950 000 euros).
La génération d’harmoniques d’ordre élevé
Dans le détail, notez que les événements très rapides, tels que ceux qui se produisent à l’échelle subatomique, sont généralement inaccessibles à l’observation humaine directe en raison de leur extrême rapidité. Par exemple, dans le monde des électrons, les changements se produisent en quelques dixièmes d’attoseconde (une attoseconde équivaut à une quintillionième (10^-18) de seconde).
Pour étudier et comprendre ces événements ultra-rapides, les scientifiques doivent donc développer des techniques spéciales, ce qui nous ramène à ce Nobel de physique.
En 1987, Anne L’Huillier avait d’abord découvert un phénomène appelé « génération d’harmoniques d’ordre élevé » en faisant passer de la lumière laser infrarouge à travers un gaz rare.
Cette lumière est monochromatique, ce qui signifie qu’elle a une seule longueur d’onde. Cependant, lorsque cette lumière laser infrarouge entre en contact avec des atomes d’un gaz rare (comme l’argon ou le néon), certains électrons des atomes absorbent de l’énergie et se retrouvent « excités » à un niveau d’énergie supérieur. Ces électrons ne restent pas dans cet état excité très longtemps. Ils reviennent rapidement à leur état d’origine, libérant alors de l’énergie sous forme de lumière. Or, cette lumière émise est constituée de multiples harmoniques, ce qui signifie qu’elle contient plusieurs longueurs d’onde, chacune étant un multiple de la longueur d’onde du laser infrarouge.
Ces harmoniques d’ordre élevé peuvent couvrir une gamme de longueurs d’onde allant du rayonnement ultraviolet extrême (XUV) au rayonnement X doux.
Impulsion lumineuse ultracourte
La chercheuse a ensuite découvert que ces harmoniques d’ordre élevé, une fois superposées de manière cohérente, pouvaient former ce que l’on appelle une « impulsion lumineuse ultracourte ».
Plus concrètement, lorsque les harmoniques d’ordre élevé sont générées et se propagent à travers un milieu (comme un gaz), elles ont des phases différentes les unes par rapport aux autres en raison de leurs fréquences différentes. Cela signifie que les crêtes et les creux des différentes harmoniques ne sont pas parfaitement alignés. Anne L’Huillier a finalement découvert qu’en utilisant un processus appelé « mise en phase », il était possible de superposer ces harmoniques de manière à ce que leurs crêtes et leurs creux coïncident, créant ainsi une impulsion lumineuse très brève et intense.
Son travail a ensuite été repris par Pierre Agostini, de l’Université d’État de l’Ohio à Columbus, et Ferenc Krausz, de l’Université Ludwig Maximilian de Munich. En 2001, le premier avait réussi à produire et à étudier une série d’impulsions lumineuses consécutives, dont chacune avait une durée de 250 attosecondes. Parallèlement, le second travaillait sur un autre type d’expérience afin d’isoler une seule impulsion lumineuse d’une durée de 650 attosecondes.
De nombreuses applications potentielles
Ensemble, les contributions de ces trois chercheurs ont finalement permis d’investiguer des processus si rapides qu’ils étaient auparavant impossibles à suivre.
Ces travaux pourraient déboucher à des applications concrètes dans de nombreux domaines différents, notamment dans celui de l’électronique où il est important de comprendre et de contrôler le comportement des électrons dans un matériau. Les impulsions attosecondes peuvent également être utilisées pour identifier différentes molécules, par exemple dans les diagnostics médicaux.
Pour rappel, le prix Nobel de médecine est revenu hier à Katalin Karikó et Drew Weissman pour leurs découvertes concernant les modifications des bases nucléosidiques ayant permis le développement de vaccins à ARNm efficaces contre le COVID-19. Le Nobel de chimie 2023 sera annoncé demain.