Quand on sait que les fourmis peuvent sentir le cancer et que les chiens sont capables de déceler notre stress dans notre odeur, notre humble nez, qui devient complètement hors service au moindre petit rhume, peut nous paraître fort peu puissant. Même dans les sciences, il est admis que l’odorat est un sens « plus lent » que la vue ou l’ouïe chez les humains. Cependant, bien que notre odorat humain soit loin d’égaler celui de nombreux animaux, il n’est pas aussi mauvais que la plupart des gens le pensent pour autant. Selon une nouvelle étude, les humains perçoivent des variations d’odeurs en quelques millisecondes, soit aussi rapidement qu’ils peuvent détecter un changement de couleur.
Une expérience pour tester notre sens de l’odorat
Les chercheurs de l’Université de l’Académie chinoise des Sciences et de l’Université d’État de l’Ohio ont mis au point un appareil déclenché par une inhalation et équipé de clapets anti-retour pour permettre aux odeurs de circuler dans une seule direction. À cela s’ajoutent des tubes en téflon capables de délivrer des odeurs au nez humain avec un délai d’une précision de dix-huit millisecondes.
Au cours de 649 sessions, les chercheurs ont ensuite demandé à 229 adultes en Chine de porter cet appareil et de sentir différents mélanges d’odeurs : deux odeurs présentées en succession rapide au cours d’une seule inhalation. Ces senteurs comprenaient par exemple des parfums de pomme, des senteurs florales sucrées, des parfums citronnés et des odeurs d’oignon.
Le but de l’expérience était de tester si les participants pouvaient distinguer deux odeurs présentées dans un ordre, puis dans l’ordre inverse avec des latences différentes. Et si une seule respiration (qui dure seulement trois à cinq secondes en moyenne) semble limiter la rapidité avec laquelle nous pouvons détecter les odeurs, les observations des scientifiques racontent une tout autre histoire.
Des résultats aussi extraordinaires que notre nez
Publiée dans la revue Nature Human Behaviour, l’étude démontre que notre perception olfactive peut capter des changements chimiques subtils au cours d’une seule inhalation, remettant au passage en question nos connaissances actuelles sur notre sens de l’odorat. Par le passé, des recherches avaient en effet estimé que le temps nécessaire pour discriminer entre des séquences d’odeurs était d’environ 1 200 millisecondes.
Or, « nous avons été étonnés d’observer que les participants pouvaient distinguer deux odeurs présentées dans un ordre et l’inverse lorsque la latence entre les deux était aussi courte que 60 millisecondes », s’étonne le Dr Wen Zhou, auteur principal de l’étude et chercheur à l’Académie chinoise des Sciences à Pékin. « À titre de comparaison, la durée d’un clignement d’œil est d’environ 180 millisecondes », ajoute-t-il.
Différentes odeurs testées avec des délais calculés méticuleusement
Au cours de cinq expériences, l’appareil mis au point pour l’étude a permis de présenter aux participants une séquence de deux odeurs avec des délais très courts, le tout avec une précision remarquable. Dans une expérience, deux odeurs (un parfum de pomme et une odeur florale) ont été séquencées avec précision et délivrées de manière contrôlée. Une odeur était programmée pour atteindre le nez environ 120 à 180 millisecondes avant l’autre. Les participants ont alors été capables d’identifier correctement les odeurs et de dire laquelle était arrivée en premier dans 597 des 952 essais avec une précision de 63 %. Des résultats similaires ont été obtenus lors d’essais effectués sur 70 autres individus avec des odeurs inspirées de celles du citron et de l’oignon.
À quoi ces recherches peuvent-elles bien servir ?
Une compréhension plus fine de l’odorat humain
Dans le monde animal, la capacité à différencier les odeurs au cours d’une seule inhalation est une manière importante de détecter à la fois ce qu’est une odeur et où elle pourrait se trouver dans l’espace. « La démonstration que les humains peuvent distinguer des odeurs alors qu’elles changent au cours d’une inhalation est une puissante démonstration que le rythme est important pour l’odorat à travers les espèces, et qu’il constitue donc un principe général sous-jacent au fonctionnement olfactif. De plus, cette étude éclaire des mécanismes mystérieux qui soutiennent la perception olfactive humaine », estime le Dr Sandeep Robert Datta, professeur au Département de Neurobiologie de l’École de Médecine de Harvard, non impliqué dans la nouvelle étude.
« L’étude de l’olfaction humaine a historiquement été en retard par rapport à celle de la vision et de l’audition, car en tant qu’humains, nous nous considérons comme des créatures visuelles qui utilisent principalement la parole pour communiquer », ajoute ce chercheur qui précise que ces recherches permettent de « combler un écart critique dans notre compréhension de la manière dont nous, en tant qu’humains, percevons les odeurs ». Les implications de cette recherche vont donc bien au-delà des laboratoires et offrent des perspectives intrigantes sur la manière dont l’odorat influence le comportement et les interactions humains.
D’autres implications, notamment dans le domaine de la santé
Reconnaître la capacité du système olfactif à distinguer rapidement des différences chimiques subtiles pourrait en outre révolutionner des industries dépendantes de l’odorat telles que l’alimentation et les boissons, les parfums et même les soins de santé. En exploitant une compréhension plus approfondie de la perception temporelle des odeurs, les professionnels pourraient ainsi affiner le développement des saveurs, améliorer la conception des parfums et perfectionner les thérapies basées sur les senteurs.
Surtout, « notre appareil pourrait être utilisé à des fins thérapeutiques telles que la rééducation olfactive pour les patients souffrant de perte d’odorat », estime le Dr Zhou. « De manière plus générale, nos découvertes pourraient guider la conception et le développement de nez électroniques et de systèmes de réalité virtuelle olfactive qui pourraient avoir des avantages cliniques significatifs. »
Retrouvez l’étude dans Nature Human Behaviour (sur ce lien).