baleine à dents de bêche (Mesoplodon traversii)
Le septième spécimen jamais observé d'une baleine à dents de bêche a été trouvé sur une plage de l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Crédit image : Département de la conservation de la Nouvelle-Zélande

Neuf estomacs et des dents de sagesse : voici la baleine que personne n’a vue vivante !

La baleine à dents de bêche (Mesoplodon traversii) est sans doute l’un des mammifères marins les plus mystérieux au monde. Découverte au 19e siècle, cette espèce est si rare que seuls sept individus ont été recensés, et aucun n’avait jamais été observé vivant. La quasi-totalité de nos connaissances reposait sur des échouages partiels ou des observations fragmentaires. En 2024, un événement exceptionnel en Nouvelle-Zélande a permis d’examiner pour la première fois un spécimen complet, offrant aux scientifiques et aux communautés maories l’occasion de percer certains des secrets de ce cétacé presque mythique.

Un échouage rare : l’arrivée d’Ōnumia

Le 4 juillet 2024, un mâle de cinq mètres s’est échoué près du village de Taieri Mouth, sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Rapidement identifié comme une baleine à dents de bêche, ce spécimen unique a été nommé Ōnumia, en hommage à la zone où il a été retrouvé. L’échouage a constitué une opportunité scientifique et culturelle inestimable : il s’agissait du premier spécimen complet jamais disséqué de cette espèce, offrant des informations inédites sur sa morphologie, sa biologie et son écologie.

Pour les scientifiques, c’était un véritable trésor pour combler un vide majeur dans les connaissances sur les cétacés.

Science et tradition : une collaboration unique

La dissection, réalisée en décembre 2024, a été menée dans le cadre d’une collaboration étroite entre chercheurs occidentaux et communautés maories locales. Les jeunes du hapū (sous-tribu) ont participé activement aux opérations, guidés par des experts traditionnels, ou tōhuka, qui transmettent le savoir ancestral sur les taoka, les trésors de la mer.

Cette approche interdisciplinaire a permis de mêler connaissances autochtones et scientifiques, enrichissant la compréhension de l’animal et renforçant les liens culturels. Pour les Maoris, Ōnumia n’était pas seulement un spécimen scientifique : il incarnait un trésor vivant, chargé de symboles et de traditions, à préserver et à transmettre aux générations futures.

baleine à dents de bêche (Mesoplodon traversii)
Crédits : Te Rūnanga o Ōtākou, Département de conservation de Te Papa Atawhai, Musée Tūhura Otago, Université Ōtākou Whakaihu Waka d’Otago

Des dents vestigiales et des membres postérieurs réduits

L’étude a révélé des caractéristiques fascinantes et peu connues. La mâchoire supérieure portait de minuscules dents vestigiales, comparables à des dents de sagesse. Ces vestiges témoignent de l’évolution de l’espèce et de la diminution progressive de structures dentaires autrefois fonctionnelles.

De plus, les membres postérieurs sont réduits à de petits vestiges de hanches, un rappel des origines terrestres des cétacés, remontant à environ 50 millions d’années. Ces adaptations montrent comment l’évolution a transformé ces animaux pour la vie entièrement aquatique, tout en laissant subsister des traces de leur passé terrestre.

Neuf estomacs pour un régime spécialisé

L’une des découvertes les plus étonnantes concerne le système digestif de la baleine. Ōnumia possédait neuf chambres stomacales, un nombre inhabituel chez les cétacés, reflétant probablement des adaptations spécifiques à son régime alimentaire.

L’analyse des contenus digestifs a permis d’identifier des becs et lentilles oculaires de calmars, des vers parasites et d’autres restes marins, fournissant des indices sur sa nutrition et ses habitudes de chasse. Ces observations permettent de mieux comprendre comment l’espèce interagit avec son environnement et se nourrit, malgré le peu d’informations disponibles jusqu’à présent.

Indices sur la communication et le comportement

Au-delà de l’alimentation, des structures anatomiques ont été observées, probablement liées à la production de sons et à la communication. Bien que des études supplémentaires soient nécessaires pour confirmer leur fonction exacte, ces éléments laissent entrevoir des comportements sociaux et une capacité de navigation acoustique sophistiquée, caractéristiques essentielles chez les cétacés. Chaque mesure et chaque observation contribuent à reconstituer peu à peu le mode de vie de cette espèce, encore largement inconnue.

Une espèce fragile et précieuse

La mort d’Ōnumia rappelle combien la baleine à dents de bêche est fragile et vulnérable. Avec seulement quelques individus recensés, chaque nouvelle information scientifique est cruciale pour orienter les efforts de conservation. Documenter son anatomie, son régime alimentaire et ses comportements est essentiel pour protéger les populations restantes et comprendre les menaces auxquelles elles sont confrontées dans les océans du Sud.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.