Une équipe de chercheurs annonce avoir pu réanimer un ancien ver rond, ou nématode, ayant survécu en animation suspendue dans le pergélisol sibérien pendant 46 000 ans. Il s’agit d’un record très largement battu pour ce type d’organismes.
Quand le temps semble s’arrêter
Les organismes de divers groupes taxonomiques peuvent survivre à des conditions environnementales extrêmes, qu’il s’agisse d’une absence totale d’eau ou d’oxygène, de températures trop élevées ou encore d’une salinité extrême pour ne citer que quelques exemples.
Les stratégies de survie de ces organismes incluent un état appelé animation suspendue ou cryptobiose dans lequel ils réduisent drastiquement le rythme de leur métabolisme. Des exemples de cryptobiose à long terme incluent une spore de Bacillus conservée dans l’abdomen d’abeilles enterrées dans l’ambre pendant 25 à 40 millions d’années ou encore une graine de Lotus vieille de 1000 à 1500 ans trouvée dans un ancien lac qui a ensuite pu germer. Les tardigrades, les rotifères et les nématodes sont également connus pour rester en cryptobiose pendant des périodes prolongées.
« Suspendu » depuis plus de 45 000 ans
Cela étant dit, en 2018, des chercheurs avaient pu « réanimer » l’un de ces nématodes. Le spécimen avait été découvert en 2002 dans un terrier d’écureuil fossilisé extrait du pergélisol près de la rivière Kolyma, dans le nord-est de l’Arctique. Depuis, son âge et son espèce restaient cependant incertains.
Dans le cadre de ces nouveaux travaux publiés dans la revue PLOS Genetics, une datation radiocarbone précise a indiqué que le nématode du genre Panagrolaimus était resté en cryptobiose depuis la fin du Pléistocène, soit depuis environ 46 000 ans. Il s’agit d’un record et de très loin. En effet, les enregistrements les plus longs de cryptobiose chez les nématodes rapportés jusqu’à présent concernaient les espèces antarctiques Plectus murrayi (25,5 ans dans de la mousse congelée à -20°C) et Tylenchus polyhypnus (39 ans desséché dans un spécimen d’herbier). D’autres analyses ont également montré que ce nématode appartient à une espèce non décrite. Elle est désormais nommée Panagrolaimus kolymaensis.

Comment ce nématode a-t-il survécu ?
Les chercheurs ont analysé les gènes de cette espèce avec ceux des vers ronds Caenorhabditis elegans. Ces derniers ayant été les premiers organismes multicellulaires à avoir séquencé tout leur génome, ils se présentent comme de parfaits organismes modèles à des fins de comparaison.
L’analyse a révélé plusieurs gènes communs liés à la cryptobiose. L’équipe a notamment observé un pic de production d’un sucre appelé tréhalose, qui pourrait selon elle aider à protéger les membranes cellulaires des nématodes de la déshydratation. Ils ont ensuite congelé plusieurs vers à -80 °C et constaté que la dessiccation (le processus de déshydratation) améliorait les taux de survie des deux espèces. En effet, les vers congelés à cette température sans être déshydratés au préalable sont morts instantanément.
Dans l’ensemble, ces découvertes démontrent que les nématodes ont développé des mécanismes pour survivre en animation suspendue sur des échelles de temps géologiques. Des changements drastiques de l’environnement dans lequel ils dorment, y compris des fluctuations de température et de radioactivité naturelle, pourraient alors en réveiller certains de leur sommeil profond.