Une étude récente, menée par le professeur Ella Been et le Dr Omry Barzilai, jette un éclairage fascinant sur la manière dont les Néandertaliens et les Homo sapiens traitaient leurs morts au Levant, une région clé pour l’évolution humaine située entre l’Afrique et l’Asie occidentale. Cette recherche révèle des pratiques funéraires jusque-là insoupçonnées qui apportent des indices précieux sur la culture et les comportements de ces deux espèces d’hominidés.
Une région unique
Le Levant, une région qui s’étend sur la côte orientale de la mer Méditerranée, est aujourd’hui constitué d’une partie du Moyen-Orient qui englobe des territoires comme Israël, le Liban, la Jordanie et la Syrie. Son emplacement géographique unique en fait une terre de rencontre depuis des millénaires.
Entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie, le Levant aura notamment servi de corridor de migration pour diverses espèces humaines au fil des âges, dont les Néandertaliens et Homo Sapiens qui se sont rencontrés et ont coexisté dans la région pendant le Paléolithique moyen, entre environ 170 000 et 55 000 ans avant notre ère. Les premiers venaient d’Europe tandis que Sapiens venait d’Afrique.
Les ressources naturelles du Levant, telles que ses nombreux abris rocheux, ses cours d’eau et sa faune variée, en faisaient également une zone très attrayante pour les groupes de chasseurs-cueilleurs. Le climat local, qui devenait plus humide et tempéré à certaines périodes, augmentait également la biodiversité et donc les sources de nourriture. Les conditions climatiques et géographiques particulières de la région semblent donc avoir encouragé Sapiens à migrer hors d’Afrique et permis aux Néandertaliens de s’installer temporairement plus loin vers le sud.
À cette période, le Levant est ainsi considéré comme une sorte de laboratoire naturel pour les paléoanthropologues et les archéologues. Ce voisinage soulève en effet de nombreuses questions sur la nature des interactions entre ces deux espèces. C’est également ici que ces dernières semblent avoir commencé à enterrer leurs morts, un fait marquant de l’évolution humaine. Dans le cadre d’une étude, des chercheurs se sont intéressés à ces pratiques.
Des méthodes différentes
Dans le cadre de ces travaux, les chercheurs ont analysé dix-sept sépultures néandertaliennes et quinze sépultures d’Homo sapiens dans des grottes et abris du Levant. Cette région regorge de sites archéologiques clés, comme les grottes de Skhul et de Qafzeh pour Homo sapiens et celles de Shanidar et Kebara pour les Néandertaliens. Dans les deux groupes, les morts étaient enterrés, mais l’analyse a révélé des différences importantes dans les lieux et les positions d’inhumation.
Les Néandertaliens enterraient leurs morts principalement dans des grottes, une pratique qui se retrouve dans de nombreux sites en Europe. Homo sapiens privilégiait quant à lui les abris sous roche ou les entrées de grottes, ce qui évitait les inhumations plus profondes. De plus, les positions des corps variaient : Homo sapiens était souvent enterré en position fléchie, proche de la position fœtale. Les Néandertaliens utilisaient pour leur part plusieurs positions, de l’étendue à la semi-fléchie et pouvaient également utiliser des pierres pour entourer les corps ou même pour créer un appui-tête sous le crâne des défunts.
Des objets funéraires et des marqueurs symboliques
Les objets funéraires, tels que des os ou des restes d’animaux, étaient retrouvés dans les sépultures des deux espèces, mais là encore, les pratiques variaient. Par exemple, certains Homo sapiens utilisaient des pigments rouges d’ocre et des coquillages dans leurs rites, peut-être en signe de rituel ou de symbolisme. Ces marqueurs étaient absents des sépultures néandertaliennes de la région, ce qui suggère des différences culturelles et symboliques notables entre les deux espèces.
Dans leur étude, les chercheurs soulignent également que les sépultures de nourrissons étaient plus fréquentes chez les Néandertaliens, ce qui pourrait indiquer une attention particulière accordée aux jeunes défunts.

Pourquoi ces enterrements se sont-ils multipliés dans le Levant ?
Il est surprenant de constater que cette pratique funéraire apparaît soudainement et intensément dans le Levant. L’étude suggère que l’augmentation des enterrements pourrait être due à une hausse de la population locale, résultant de conditions climatiques plus favorables. Au cours de cette période, le climat du Levant est en effet devenu plus humide, ce qui a rendu la région plus habitable et attiré des groupes humains venus d’Afrique et d’Europe. Cette concentration de population aurait intensifié la nécessité de gérer les morts de manière différente et contribué à l’émergence des pratiques funéraires.
Étrangement, ce phénomène n’a pas duré. Lorsque les Néandertaliens disparaissent il y a environ 50 000 ans, les pratiques funéraires semblent en effet s’éteindre avec eux dans cette région. En effet, aucune trace d’enterrement n’est retrouvée au Levant pendant des dizaines de milliers d’années, même chez Sapiens qui fréquentait pourtant toujours les lieux jusqu’à ce que les humains de la culture natoufienne reprennent cette coutume il y a environ 15 000 ans.
Cette longue interruption intrigue les chercheurs, car d’autres pratiques humaines ont perduré pendant ce laps de temps. Cela soulève ainsi des questions sur l’évolution des croyances et des traditions culturelles : qu’est-ce qui a pu motiver cet abandon des rituels funéraires et pourquoi ont-ils resurgi bien plus tard ?