Les analyses d’ossements retrouvés sur l’un des sites fossiles les plus importants du monde suggèrent que nos anciens cousins hominidés essuyaient peut-être les hivers en entrant dans un état de torpeur pendant plusieurs mois.
La Sima de los Huesos – appelée la fosse aux os – retrouvée près de Burgos dans le nord de l’Espagne, est un aven contenant un gisement paléolithique âgé de 430 000 ans. Ce site exceptionnel, fouillé depuis 1984, a permis de récupérer plusieurs milliers de fossiles correspondant à toutes les régions du squelette d’au moins 28 hominidés.
Il y a encore quelques années, nous pensions que ces derniers appartenaient à l’espèce Homo heidelbergensis. Des analyses faites en 2014 ont finalement permis d’attribuer ces ossements à l’Homme de Neandertal. Ces individus seraient plus précisément de proches descendants de l’ancêtre commun des Dénisoviens et des Néandertaliens, qui ont perduré respectivement en Asie et en Europe pendant quelque 400 000 ans, avant l’arrivée de l’Homme moderne il y a environ 50 000 ans.
Une étude fascinante et troublante à la fois
Ceci étant dit, l’analyse de nouveaux ossements nous révèle une histoire troublante. Les anthropologues Juan-Luis Arsuaga et Antonis Bartsiokas, de l’Université Démocrite de Thrace en Grèce, affirment en effet qu’à leur époque, ces hominidés étaient peut-être capables d’entrer en état de torpeur, comme les ours, le temps de passer l’hiver.
Lorsqu’un ours se réveille de sa torpeur prolongée (un type d’état de sommeil économiseur d’énergie souvent utilisé comme synonyme d’hibernation), ses os et ses muscles sont relativement les mêmes qu’avant. Ces mammifères développent en effet des processus métaboliques spécialisés pour les protéger de ce sommeil prolongé. Toutefois, il arrive parfois que la machine s’enraye si les animaux n’emmagasinent pas suffisamment de graisses avant l’hiver. Les hibernateurs peuvent alors souffrir de rachitisme, d’hyperparathyroïdie ou d’ostéite fibreuse, par exemple. Et ces conditions laissent des marques sur les os.
Ce que nous disent les chercheurs de cette nouvelle étude, c’est que ces mêmes lésions ont été isolés sur certains ossements de la Sima. Ils soulignent également que certains fossiles présentent des caractéristiques suggérant que leur croissance était interrompue pendant plusieurs mois de chaque année. Ces hominidés étaient-ils capables de réellement hiberner, comme peuvent le faire les ours ?
Pas d’autre choix que d’hiberner
Juan-Luis Arsuaga et Antonis Bartsiokas l’admettent : cette notion « peut ressembler à de la science-fiction« . Néanmoins, il soulignent que de nombreux autres mammifères, y compris les primates tels que les lémuriens de Madagascar ont évolué pour hiberner. « Cela suggère que la base génétique et la physiologie d’un tel hypométabolisme pourraient être préservées chez de nombreuses espèces de mammifères, y compris les humains« , écrivent-ils.
Les auteurs examinent également un contre-argument : celui des Inuits et les Samis, qui vivent dans des conditions tout aussi dures et froides, mais qui pourtant n’hibernent pas. À cette analyse, les chercheurs rappellent que les poissons gras et la graisse de renne fournissent aujourd’hui suffisamment de nourriture à ces peuples pour qu’ils puissent passer l’hiver. En revanche, le site de Sima, il y a un demi-million d’années, ne proposait pas suffisamment de nourriture riche en graisses pour les locaux.
Aussi, d’après eux, une stratégie d’hibernation aurait été la seule option possible pour dans cet environnement durant l’hiver.
Avant de pouvoir affirmer que nos anciens cousins ont effectivement hiberné, nous devons nous rappeler que cette recherche est très préliminaire. « C’est un argument très intéressant et il stimulera certainement le débat« , admet au Guardian l’anthropologue légiste Patrick Randolph-Quinney, de l’Université Northumbria à Newcastle. « Cependant, il y a d’autres explications pour les variations observées dans les os de Sima. Et celles-ci doivent être traitées complètement avant que nous puissions arriver à des conclusions réalistes« .
Les détails de ces travaux sont publiés dans L’Anthropologie.