La Namibie est aujourd’hui confrontée à une crise humanitaire sans précédent due à une combinaison dévastatrice de sécheresse sévère et de pénurie alimentaire. Depuis plusieurs mois, cette nation subit en effet l’une des pires sécheresses de son histoire récente et voit ses réserves alimentaires s’amenuiser dangereusement. Après la mise aux enchères d’éléphants en 2021, le gouvernement namibien a donc récemment pris des mesures controversées pour tenter de pallier cette catastrophe en lançant un programme qui prévoit l’abattage de plus de 700 animaux sauvages. Tantôt jugé cruel, inefficace ou intéressé, ce projet est loin de faire l’unanimité.
Une montée de la faim et de la sécheresse en Namibie
En août 2024, le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’Organisation des Nations unies (ONU) estimait que 84 % des réserves alimentaires avaient été épuisées en Namibie. En effet, l’Afrique australe connaît actuellement sa pire sécheresse depuis des décennies à cause du phénomène El Niño et des températures. Le 22 mai 2024, le président avait d’ailleurs dû déclarer l’état d’urgence à la suite de la pire sécheresse en cent ans.
Cela a entraîné une diminution inquiétante de 53 % de la production céréalière locale tandis que les niveaux d’eau au niveau des barrages ont baissé de pas moins de 70 %. Aujourd’hui, la situation est telle qu’environ 1,4 milliard de Namibiens (soit plus de la moitié de la population) sont en insécurité alimentaire sévère, un problème qui va se faire ressentir pendant encore de nombreux mois.
Un plan gouvernemental d’ampleur
En réaction, le gouvernement namibien a lancé un plan qui vise à contrer la famine et la sécheresse dans le pays. Pour ce faire, il envisage l’abattage de plus de 700 animaux sauvages, sans préciser la durée du projet. Selon ce projet, des chasseurs professionnels devront ainsi tuer 300 zèbres, 100 élands, 100 gnous bleus, 83 éléphants, 60 buffles, 50 impalas et 30 hippopotames, la plupart pourtant issus de parcs nationaux protégés.
Sur cet objectif, au moins 157 de ces 723 animaux ont déjà été abattus, ce qui aurait déjà permis de fournir 56 875 kilogrammes de viande. Toutefois, les autorités estiment que cette mesure gouvernementale permettra aussi d’alléger la pression sur les ressources en pâture et en eau, déjà bien entamées par la sécheresse, qui pourraient amplifier les conflits entre la faune locale et les populations.
« Notre but est de mener cette opération de façon durable tout en minimisant le traumatisme autant que possible. Nous devons séparer les animaux devant être chassés de ceux qui ne le sont pas », explique Romeo Muyunda, le porte-parole du ministère qui ajoute que ce programme de secours « est nécessaire et conforme à notre mandat constitutionnel selon lequel nos ressources naturelles sont utilisées au profit des citoyens namibiens ». Le ministère affirme enfin que des entrepôts gouvernementaux accueilleront les défenses des éléphants ainsi abattus conformément à l’interdiction mondiale du commerce de l’ivoire.
Un projet d’abattage controversé
Ce plan n’a pas manqué d’étonner. En effet, la Namibie est le tout premier pays d’Afrique à avoir inscrit la protection de l’environnement dans sa Constitution et avait jusqu’ici œuvré avec succès pour préserver ses ressources. 44 % de ses terres constituent ainsi un espace naturel protégé, une avancée qui volerait complètement en éclat avec ce projet selon plusieurs organisations de défense de l’environnement. Certaines craignent en effet que sous couvert de besoins humanitaires, ce projet puisse créer un précédent qui pousserait à une exploitation déraisonnée dans le futur. Ces opposants craignent en outre qu’il n’y ait eu aucune étude d’impact environnemental ni aucun recensement du gibier, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la faune sauvage en perturbant des écosystèmes délicats.
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre, Jason Baker, le vice-président senior de PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), estime que « tuer ne serait-ce que quelques [éléphants] pourrait dévaster des troupeaux entiers, entraînant le chaos, une mortalité accrue parmi les survivants et le risque d’aggraver les conflits entre les humains et les animaux », des risques auxquels s’ajoute aussi le risque de maladies zoonotiques liées à l’abattage et la consommation d’animaux sauvages.
Un projet à trop court terme ?
PETA questionne surtout le bien-fondé de cette mesure et parle d’un abattage « myope, inefficace et cruel ». Il s’inquiète surtout du fait que les populations animales sont ici érigées comme des boucs émissaires des problèmes rencontrés dans le pays alors que des stratégies à plus long terme pourraient être envisagées. « Malheureusement, ce n’est pas le premier abattage du pays et sans plan, je crains que ce ne soit pas le dernier », explique-t-il. En effet, « la viande de quelques centaines d’animaux ne suffira pas à résoudre cette calamité, et les sources d’eau pour les humains et le bétail, par opposition à celles pour les animaux sauvages qui résident dans les parcs nationaux de Namibie, ne sont pas les mêmes ».
Il conclut en affirmant que « cela ne fait que continuer à ternir l’image de la Namibie, nuire à son industrie touristique et causer d’immenses souffrances aux animaux. »
Des motivations cachées moins nobles se cacheraient derrière ce projet en Namibie
Si le gouvernement affirme que cette mesure vise surtout à nourrir les populations affamées, les groupes de défense des droits des animaux ont soulevé des préoccupations concernant de possibles motivations cachées derrière l’abattage, alléguant que des chasseurs de trophées pourraient être autorisés à tuer des animaux en échange de frais. « Le profit pourrait être un facteur déterminant dans ces plans cruels », estime ainsi PETA sur son site. À cela s’ajoute aussi le coût des licences de chasse qui pourrait rapporter d’importants revenus au pouvoir en place.
À ces allégations s’ajoutent enfin des doutes liés à l’approche des élections générales de novembre. En effet, la viande viserait à être distribuée dans les régions où l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain, le parti qui est actuellement au pouvoir, rencontrerait une opposition élevée.