C’était mieux avant ? En tout cas, dans le milieu de la musique, on connaît bien la chanson… Depuis l’arrivée du jazz, vivement hué à l’époque par la critique, suivi ensuite par le Rock’n’Roll, la musique Punk, le Heavy Metal, le Hip-Hop ou encore la Pop des années 2000, le refrain se répète encore et encore, laissant entendre que les artistes et les styles musicaux populaires du moment ne sont jamais à la hauteur de leurs prédécesseurs. Et bien sûr, il y a dans ces discours une grande part de subjectivité… et parfois de mauvaise foi. Mais qu’en dit la science ? L’Université Queen Mary de Londres (QMUL) s’est donné la tâche ardue d’étudier la question pour la période de 1950 à 2023 et livre ses conclusions tout en nuances dans la revue Scientific Reports.
Étudier la complexité de la musique à travers les âges
Pour réaliser ces recherches, Madeline Hamilton, doctorante en science informatique, était accompagnée par Marcus Pearce, chercheur en sciences cognitives ainsi que Roger Dean, musicologue et compositeur à l’Université de Sidney (Australie). Le duo a ici décidé d’étudier huit éléments liés à la métrique mélodique, que ce soit en lien avec le rythme ou la hauteur des notes (par exemple l’intervalle entre les notes, la variation de la durée de la note, la gamme, etc.). Un modèle statistique développé par Pearce a ensuite permis de mesurer la prédictibilité d’une mélodie en termes de rythme et de ton. En se basant sur les notes précédentes, le modèle mathématique pouvait notamment prédire les notes suivantes et calculer en moyenne le nombre de moments où le morceau le ‘surprenait’.
Avec plus de 350 titres issus d’une banque de données « Billboard Melodic Music » comportant les cinq chansons les plus écoutées chaque année de 1950 à 2023, un algorithme a enfin permis de mettre en exergue les moments les plus significatifs dans l’évolution de la musique populaire. Or, les données obtenues dans le cadre de ces recherches montrent qu’à partir de 1975, la complexité de la musique baissait de manière significative au niveau du rythme et des arrangements. Cette baisse dans la complexité mélodique a été évaluée à pas moins de 30 % sur les sept décennies passées en revue par l’étude.

Dans le détail…
« Dans la première ère, 1950-1974, les mélodies ont une complexité théorique de l’information (PIC) et une complexité de l’information liée au rythme (RIC) relativement élevées, un intervalle de hauteur moyen d’environ 2,3 demi-tons (avec les deux tiers de la hauteur dans une plage d’environ 7 demi-tons), environ 1,8 note par seconde et 4,2 notes par mesure », note l’étude.
En comparaison, sur la période de 1975 à 1999, « ils ont une complexité moindre liée à la hauteur et au rythme, un intervalle de hauteur moyen d’environ 2,1 demi-tons, environ 2 notes par seconde et 5 notes par mesure. Les deux tiers des tons se situent dans une plage de 6 demi-tons ». Enfin, au cours de la troisième ère (à partir des années 2000), « les mélodies ont la complexité théorique de l’information la plus faible liée à la hauteur et au rythme, avec un intervalle de hauteur moyen d’environ 2,0 demi-tons, les deux tiers des hauteurs dans une plage de 5,5 demi-tons, 2,8 notes par seconde et 6,3 notes par mesure ». Toutefois, certaines dates en particulier sortent plus particulièrement du lot.
Trois périodes critiques pour la musique
Les chercheurs ont identifié deux moments de baisse plus marquée de la complexité en 1975 et en 2000, accompagnés par une troisième moins marquée, mais tout de même significative en 1996. Ils étaient alors le plus souvent associés avec l’émergence et la popularisation massive de certains styles musicaux. Par exemple, l’équipe pense que les changements notables au niveau des mélodies entre 1975 et 1976 pourraient être attribués à l’ascension fulgurante de genres tels que la New Wave, le Disco ou encore l’Arena Rock (parfois aussi surnommé stadium rock).
Le tournant observé dans l’année 1996, puis en 2000 pourrait quant à lui être en lien avec la popularité croissante du Hip-Hop, l’avènement de la musique électronique et des stations audionumériques (permettant l’utilisation de répétitions de sons en boucle et l’édition de musique par ordinateur) et l’ascension de MTV.

Des nuances apportées par l’étude
Si l’étude démontre que les mélodies deviennent de moins en moins complexes et toujours plus répétitives, les chercheurs se montrent prudents, indiquant que la complexité mélodique ne fait pas tout. Ils mettent notamment en avant le nombre de notes par seconde en augmentation au fil du temps. Cela signifie que si la structure mélodique se simplifie, les chansons deviennent beaucoup plus rapides. Cela peut alors par exemple donner une impression d’énergie et d’urgence plus présente que sur les décennies précédentes, ce qui peut notamment rend les musiques entraînantes, plus accessibles et potentiellement capables de vite se transformer en ver d’oreille (lorsque l’on a un air obsédant en tête qui ne veut plus nous quitter).
Cette densité des notes peut également en elle-même limiter la complexité des mélodies, car cela laisse moins de place pour multiplier les tons musicaux qui risqueraient alors de trop écraser les auditeurs avec trop d’informations, surtout à notre époque où notre attention peut être plus limitée.
Ces recherches prouvent en tout cas que même si la mélodie en pâtit, d’autres éléments musicaux se sont quant à eux complexifiés pour compenser, à l’instar de la qualité du son en elle-même grâce à l’utilisation d’instruments numériques. Alors que par le passé, les musiques se basaient sur quelques instruments, une voix et la complexité harmonique, les arrangements en studio et technologies actuelles permettent de jouer sur les textures et ajoutent une nouvelle subtilité à la musique. « Aujourd’hui, avec la disponibilité des logiciels de production musicale numériques et des librairies contenant des millions d’échantillons musicaux, n’importe qui avec un ordinateur et une connexion internet peut créer n’importe quel son sorti de son imagination », écrivent ainsi les chercheurs.
D’autres aspects restent à étudier
Les scientifiques insistent finalement sur l’importance de ne pas trop juger cette perte mélodique et de ne pas mettre en opposition les musiques plus classiques avec les plus contemporaines, ces dernières pouvant bénéficier d’une production et d’accords plus recherchés. Des genres musicaux comme le Rap et le Hip-Hop par exemple apportent en outre leurs spécificités et éléments de complexité propres en comparaison des mélodies chantées typiques. Des études antérieures avaient en outre établi des disparités entre les différents genres musicaux et leur évolution au fil du temps.
Rappelons en outre que pour cette étude n’ont été pris en compte que les tubes vedettes de ces dernières décennies. Les chercheurs n’excluent donc pas la possibilité d’étudier plus de chansons pour voir si les observations liées à la mélodie s’appliquent aussi à un plus gros panel musical et pourquoi pas aussi en prenant en compte d’autres paramètres musicaux. Enfin, comme l’explique Hamilton, la complexité mélodique n’est pas forcément indicative de la qualité musicale, car après tout, « la simplicité a sa propre beauté ».
Retrouvez l’étude sur ce lien.