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Illustration d'un ordinateur quantique Crédits : générée par Grok

Les molécules, de nouvelles stars de l’informatique quantique ?

Imaginez des ordinateurs capables de résoudre en quelques secondes des problèmes que nos machines actuelles mettraient des milliers d’années à résoudre. C’est la promesse de l’informatique quantique, une technologie révolutionnaire qui pourrait transformer des domaines entiers comme la médecine, la science et la finance. Jusqu’à présent, cette technologie s’est concentrée sur des particules simples. Plus récemment, une équipe de chercheurs de Harvard a franchi une étape cruciale en utilisant des molécules comme unités fondamentales d’information. Cette percée qui pourrait bouleverser le futur de l’informatique quantique.

Qu’est-ce que l’informatique quantique ?

Faisons un petit rappel pour les non-initiés. Contrairement aux ordinateurs classiques qui utilisent des bits comme unité de base de l’information (représentés par un 0 ou un 1), les ordinateurs quantiques utilisent des qubits. Ces derniers ont la particularité de pouvoir se trouver dans un état de 0, de 1 ou une superposition des deux, un peu comme une pièce de monnaie qui tourne sur elle-même : tant qu’elle tourne, elle est à la fois pile, face et quelque part entre les deux. Cette propriété, appelée superposition, permet aux ordinateurs quantiques d’effectuer plusieurs calculs simultanément, ce qui leur confère une puissance de traitement sans commune mesure avec celle des ordinateurs traditionnels.

Mais ce n’est pas tout. L’informatique quantique repose aussi sur un second phénomène tout aussi fascinant : l’intrication quantique. Lorsque deux qubits sont intriqués, leurs états deviennent interdépendants, quelle que soit la distance qui les sépare. Si vous modifiez l’état de l’un, l’autre réagit instantanément comme s’ils étaient connectés par un fil invisible. Cela permet de créer des corrélations complexes entre les qubits, une condition essentielle pour exécuter des calculs d’une puissance inégalée.

Grâce à ces propriétés uniques, les ordinateurs quantiques ne se contentent pas d’accélérer les calculs : ils ouvrent la voie à des applications impossibles à réaliser avec des machines classiques, comme la modélisation de molécules complexes, l’optimisation de systèmes ultra-compliqués ou encore la résolution de problèmes mathématiques gigantesques. Bref, l’informatique quantique promet une véritable révolution technologique.

Les systèmes actuels

Jusqu’à présent, l’informatique quantique s’est appuyée sur des systèmes relativement simples. L’une est celle des ions piégés. Dans cette approche, des ions (des atomes qui ont une charge électrique) sont maintenus en suspension grâce à des champs électromagnétiques. Chaque ion représente un qubit et leurs états quantiques peuvent être manipulés avec des lasers pour effectuer des calculs. Les ions piégés sont appréciés pour leur très longue cohérence quantique (ils gardent leur état stable pendant longtemps), mais les manipuler demande des installations complexes.

Une autre approche concerne des atomes neutres. Ici, des atomes non chargés sont immobilisés grâce à des lasers extrêmement précis, appelés pinces optiques. Ils sont organisés en réseaux où leurs interactions peuvent être contrôlées. Bien qu’ils soient plus stables que d’autres systèmes, la mise en œuvre de calculs complexes nécessite encore des efforts d’optimisation.

Enfin, certains s’appuient sur des circuits supraconducteurs. Ces systèmes utilisent des matériaux qui, à des températures proches du zéro absolu, conduisent l’électricité sans aucune résistance. Des circuits supraconducteurs créent des qubits artificiels qui peuvent être rapidement manipulés pour effectuer des opérations. Cette approche est déjà utilisée par des entreprises comme IBM et Google, mais elle nécessite des réfrigérateurs cryogéniques pour fonctionner, ce qui complique leur utilisation à grande échelle.

Ces technologies sont les fondations actuelles de nombreux ordinateurs quantiques expérimentaux, car elles présentent un bon équilibre entre stabilité, précision et contrôlabilité. Cependant, elles ont des limitations de complexité. En d’autres termes, elles sont conçues pour des qubits simples. Cela suffit pour de nombreuses expériences, mais cela restreint aussi les capacités à explorer des applications plus sophistiquées.

Pourquoi des molécules ?

Les molécules possèdent en revanche une structure interne beaucoup plus riche, ce qui pourrait permettre de créer des ordinateurs quantiques plus puissants. Cependant, cette complexité est à double tranchant. Les molécules sont généralement instables et difficiles à contrôler, notamment en raison de leurs mouvements imprévisibles. Imaginez une machine avec des engrenages internes très complexes : elle peut offrir des capacités incroyables, mais devient inutilisable si ces engrenages s’emballent. C’est pourquoi les chercheurs ont longtemps considéré les molécules comme trop délicates pour l’informatique quantique.

La percée scientifique de Harvard

Malgré les nombreux défis posés par l’utilisation des molécules en informatique quantique, une équipe de chercheurs de l’Université de Harvard, dirigée par Kang-Kuen Ni, a réalisé une avancée majeure en les utilisant pour la première fois comme qubits.

Leur travail, publié dans la revue Nature, repose sur trois étapes clés. Tout d’abord, ils ont choisi des molécules polaires de sodium-césium (NaCs), dont les propriétés électriques uniques les rendent idéales pour des opérations quantiques. Ces molécules ont été refroidies à des températures extrêmement basses, proches du zéro absolu, afin de minimiser leur mouvement et garantir une meilleure stabilité.

Ensuite, les chercheurs ont utilisé des pinces optiques pour piéger et manipuler les molécules. Ces pinces agissent comme des outils lumineux capables de maintenir les molécules en place sans les perturber. Enfin, en exploitant les interactions électriques naturelles entre les molécules, l’équipe a réussi à les intriquer, créant ainsi un état quantique intriqué connu sous le nom d’état de Bell avec une précision remarquable de 94 %.

Cette intrication a permis de construire une porte quantique appelée iSWAP, capable d’échanger les états de deux qubits tout en appliquant un décalage de phase, une opération fondamentale pour exploiter tout le potentiel de l’informatique quantique. Cette percée ouvre la voie à des avancées futures en combinant la richesse structurelle des molécules avec les principes de la physique quantique.

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L’équipe dirigée par Kang-Kuen Ni (au centre), dont font partie Gabriel Patenotte (à gauche) et Samuel Gebretsadkan, entre autres, a réussi à piéger des molécules pour réaliser des opérations quantiques pour la première fois. Crédits : Grace DuVal

Pourquoi est-ce important ?

Cette avancée représente un tournant majeur pour l’informatique quantique. Grâce à leur complexité interne, les molécules offrent un potentiel immense pour effectuer des calculs encore plus rapides et sophistiqués que ceux réalisés avec les qubits actuels. Les applications envisagées sont vastes et prometteuses.

Dans le domaine de la médecine par exemple, cette technologie pourrait permettre de modéliser précisément les interactions moléculaires, ce qui accélérerait ainsi la découverte de nouveaux médicaments. En science, elle pourrait révolutionner la simulation de réactions chimiques complexes, aujourd’hui impossibles à modéliser avec des ordinateurs classiques. Enfin, en finance, elle pourrait être utilisée pour optimiser des portefeuilles et prévoir des scénarios d’une complexité inédite, améliorant ainsi la prise de décision dans des environnements dynamiques. En outre, cette percée contribue à approfondir notre compréhension fondamentale de la physique quantique. Elle pourrait également inspirer de nouvelles approches pour stabiliser et exploiter les systèmes quantiques, ce qui élargirait ainsi les horizons de cette discipline en plein essor.

Les défis à relever

Malgré cette réussite spectaculaire, de nombreux obstacles restent à surmonter avant que les molécules ne puissent être intégrées à grande échelle dans des ordinateurs quantiques. Bien qu’offrant des possibilités uniques, ces systèmes moléculaires sont encore difficiles à manipuler et à stabiliser. Le passage de l’expérimentation en laboratoire à une technologie fonctionnelle et opérationnelle demandera encore des années de recherche.

Les défis incluent notamment l’amélioration de la précision des opérations et la réduction des erreurs causées par des mouvements imprévus des molécules qui peuvent perturber leur état quantique. Cependant, ces obstacles sont aussi une source d’opportunités. Chaque problème surmonté pourra donner naissance à de nouvelles innovations qui rapprocheront un peu plus cette technologie révolutionnaire de son plein potentiel.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.