Météorologie : pourquoi un front froid se déplace-t-il plus vite qu’un front chaud ?

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Crédits : @SimonLeeWx.

S’il est bien connu qu’un front froid tend à se déplacer plus rapidement qu’un front chaud, l’origine de cette différence est loin d’être triviale. L’atmosphère procède de façon complexe. À tel point que bon nombre de discours en sont rendus à mettre en avant un mécanisme profondément inadapté. Le présent article tentera d’introduire une approche plus physique du problème. 

Les dépressions extra-tropicales tirent leur énergie du contraste de température présent entre les pôles et les tropiques. Ce contraste méridien se concentre dans des bandes latitudinales relativement étroites – voir l’illustration ci-dessous. Dans le jargon météo, on parle de zones baroclines ou parfois de rails des dépressions.

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Figure 1. Température en kelvins vers 1550 mètres en hiver, en moyenne climatologique. Crédits : NCEP/NCAR Reanalysis.

Lorsqu’un minimum dépressionnaire prend naissance dans un tel environnement, le champ de température se déforme : une onde thermique apparaît. À l’avant, l’air chaud remplace l’air froid : c’est le front chaud. À l’arrière, l’air froid remplace l’air chaud : c’est le front froid.

Si l’on retrace la vie d’une dépression typique, on constate que la distance entre le front chaud et le front froid se réduit progressivement. Quand le front froid rattrape le front chaud, on parle d’occlusion. Les masses d’air polaire antérieur et postérieur se rencontrent alors en surface tandis que l’air chaud est rejeté en altitude. À ce stade, la dépression perd son carburant puisque le contraste thermique horizontal s’est fortement atténué. De fait, on associe la phase d’occlusion au début de la décroissance du tourbillon. Ces étapes sont schématiquement résumées sur la figure 2.

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Figure 2. Développement d’une dépression et de ses fronts en haut. Déformation du champ de température associé en bas. Crédits : David M. Schultz & al. 2011.

Revenons-en désormais à la question posée au départ. Pourquoi le front froid se déplace-t-il plus vite que le front chaud ?

L’explication simple… mais inadaptée !

L’explication populaire que l’on retrouve un peu partout est la suivante. L’air froid étant plus lourd que l’air chaud, il chasse facilement ce dernier sur son passage et progresse donc sans mal. A contrario, l’air chaud – plus léger – a toutes les difficultés à faire refluer l’air froid. Le front chaud progresse donc plus lentement et finit par se faire rattraper par son compère. Ainsi, le phénomène résulterait directement de la différence de densité des masses d’air.

Si cette façon d’entrevoir le problème bénéficie d’une simplicité manifeste, la réalité est bien différente. En effet, à l’échelle des fronts étudiés, tout mouvement est fortement contraint par la rotation de la Terre. Cette contrainte empêche l’air froid de se comporter comme un courant de gravité qui enfoncerait l’air chaud ou bien résisterait à son avancée. Cela peut s’apprécier par la valeur d’un paramètre que l’on appelle le rayon de déformation barocline. Autrement dit, si l’on tient à un discours réaliste, l’inertie des masses d’air ne peut pas être tenue pour responsable.

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Figure 3. Représentation idéalisée d’un vortex dépressionnaire (en bleu foncé) et ses effets sur une zone de contraste thermique méridien (température en lignes rouges). Notez le renforcement des contrastes au nord-est et sud-ouest (pastilles bleu ciel) et l’affaiblissement au sud-est et nord-ouest. Crédits : Météo-France.

Alors, comment expliquer qu’un front froid tend bel et bien à se propager plus rapidement qu’un front chaud ?

L’explication adaptée… mais plus compliquée !

Les sciences atmosphériques sont un bijou de complexité empli de phénomènes contre-intuitifs. Afin que cette section puisse rester à la portée du plus grand nombre, nous n’entrerons pas dans les détails et négligerons l’existence d’influences additionnelles. Nous nous contenterons de fournir une description minimale mais non moins essentielle.

Tel qu’illustré à la figure 3, l’apparition d’une dépression dans une zone barocline renforce les contrastes thermiques dans des secteurs bien précis et les affaiblit dans d’autres. Au nord-est et au sud-ouest du tourbillon, ils sont intensifiés et constituent les esquisses de fronts chaud et froid. L’ensemble dépressionnaire se déplace vers l’est mais, étant encore peu développé, on ne note pas de différence claire en termes de vitesses frontales.

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Figure 4. Coupe d’une perturbation avec front froid à gauche et front chaud à droite. L’onde chaude se situe entre les deux. Les flèches en bleu indiquent le déplacement dicté par la dépression mère. Les flèches jaunes indiquent les circulations frontales. Crédits : David M. Schultz / University of Reading.

Toutefois, à mesure que les contrastes s’accentuent, les fronts s’activent : une circulation se met en route autour de chaque limite. Elle s’apparente à un petit moteur thermique dans lequel l’air chaud est évacué en altitude et l’air plus froid rabattu en surface. Comme indiqué sur la figure 4.

Près du sol, l’air est ainsi aspiré vers les régions ascendantes. Ce faisant, il se déplace dans la même direction que la dépression au niveau du front froid mais dans la direction opposée au niveau du front chaud. Cette composante peut donner l’impression que l’air polaire pousse le front froid et freine le front chaud. Or, on constate qu’elle est une conséquence de l’activation des fronts !

En conclusion, la différence de vitesse s’explique par la présence des moteurs frontaux. Ensemble, ils évacuent la chaleur vers l’altitude et rabattent l’air froid par les bords, ce qui accélère le front froid et ralentit le front chaud. Cette dynamique participe à résorber l’onde thermique qui est vécue comme un déséquilibre pour l’atmosphère. Une réalité complexe, loin du lieu commun attribuant un rôle central à l’air froid plus lourd.

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