Au Néolithique, il y a environ 5 000 ans, les sociétés humaines ont entamé une révolution majeure en passant d’un mode de vie de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs et d’éleveurs. Ce changement profond aura marqué l’apparition de pratiques agricoles qui allaient façonner le développement des civilisations. Toutefois, jusqu’à récemment, les détails sur l’alimentation de ces premiers agriculteurs restaient flous. Grâce à des recherches archéologiques menées dans le nord de l’Allemagne et le sud de la Scandinavie, un aspect de leur régime alimentaire a enfin été révélé.
Les premiers agriculteurs et leurs pratiques alimentaires
La culture du vase à entonnoir, qui s’est développée entre 4000 et 2800 av. J.-C., représente l’une des étapes cruciales de la transition vers l’agriculture dans le nord de l’Europe. Elle couvre une vaste région autour de la mer Baltique, englobant principalement le sud de la Scandinavie et le nord de l’Allemagne.
Cette période marque un tournant dans l’histoire des sociétés humaines, où les pratiques agricoles commencent à remplacer les modes de subsistance fondés sur la chasse et la cueillette. Les communautés de cette culture se sont donc progressivement sédentarisées, établissant des fermes et des villages, tout en introduisant des pratiques agricoles telles que la culture de céréales, l’élevage du bétail et la gestion des ressources naturelles.
La diversité des écosystèmes autour de la mer Baltique leur offrait une richesse de ressources végétales et animales qu’ils exploitaient. En plus de leurs cultures, ils dépendaient également des ressources sauvages présentes dans leur environnement immédiat, que ce soit pour compléter leur alimentation ou pour divers usages domestiques et médicinaux.
Cela étant dit, les recherches archéologiques se sont longtemps concentrées sur les éléments matériels visibles de ces sociétés agricoles : les structures des villages, les fosses, les outils en pierre, et surtout les restes d’animaux domestiqués qui témoignaient de l’élevage. Cependant, un aspect de leur alimentation restait flou : quel rôle jouaient exactement les plantes dans leur régime alimentaire ?
Si l’on savait que des céréales comme le blé et l’orge étaient cultivées, on ignorait en revanche dans quelle mesure d’autres plantes, qu’elles soient cultivées ou sauvages, contribuaient à leur menu quotidien. Cette question est d’autant plus importante, car elle pourrait éclairer la manière dont ces agriculteurs s’adaptaient à leur environnement et géraient leurs ressources alimentaires.
La découverte des microfossiles végétaux
Récemment, une approche novatrice a permis de lever une partie de ce mystère : les archéologues se sont tournés vers l’étude des meules, des outils emblématiques du Néolithique qui étaient utilisés pour broyer et moudre les céréales. Ces objets, loin de se limiter à leur fonction de transformation des grains, jouent un rôle bien plus large dans la compréhension des habitudes alimentaires des premiers agriculteurs. En effet, grâce à leur usage continu, les meules ont conservé des traces invisibles à l’œil nu : des microfossiles végétaux, principalement des grains d’amidon et des phytolithes qui sont de petites particules de silice issues des plantes. Ces microfossiles agissent comme des « témoins » des végétaux que ces communautés ont traités au fil du temps.
Le site archéologique d’Oldenburg LA 77, situé sur une île sablonneuse dans la région du Graben Oldenburger, a été particulièrement riche en informations. Ce village néolithique, avec son environnement humide et sa proximité avec la mer Baltique, a constitué un lieu stratégique de peuplement et d’échanges. Les fouilles ont mis à jour une grande quantité de ces microfossiles, offrant une vue d’ensemble sur les habitudes alimentaires des habitants de l’époque. Ces découvertes ont permis de reconstituer une partie de leur menu, bien au-delà des céréales de base, en incluant des plantes sauvages et d’autres végétaux que l’on ne pensait pas utilisés de manière systématique par ces communautés.

Une alimentation variée : céréales et plantes sauvages
Les analyses montrent que ces agriculteurs consommaient une variété impressionnante de végétaux. En plus des céréales comme le blé et l’orge, les microfossiles ont révélé la présence de fruits, d’herbes sauvages, de renouées, de glands et de tubercules riches en amidon. Les analyses ont également suggéré que ces peuples utilisaient des plantes sauvages telles que des légumineuses, bien que celles-ci soient moins fréquentes. Ce qui frappe dans ces découvertes, c’est la diversité de la flore transformée par ces agriculteurs. Ces derniers ne se contentaient pas des cultures qu’ils cultivaient, mais ils enrichissaient leur alimentation en recourant à des plantes sauvages, une pratique bien plus complexe et diversifiée qu’on ne l’avait envisagé auparavant.
La découverte des plantes sauvages n’est pas entièrement nouvelle. Des études menées sur d’autres sites de la culture du vase à entonnoir, comme celui de Frydenlund au Danemark (vers 3600 av. J.-C.), avaient déjà mis en évidence la présence de plantes sauvages carbonisées. Toutefois, cette nouvelle recherche apporte une information supplémentaire en montrant que ces plantes étaient aussi transformées à l’aide des outils de broyage pour être utilisées sous forme de farine fine ou de fragments grossiers.
Les preuves de biomarqueurs sur des plaques de cuisson récemment identifiées suggèrent également que ces céréales étaient transformées en pain plat. Cela contraste avec les pratiques observées à Frydenlund où les céréales étaient consommées principalement sous forme de bouillie ou de porridge. Ces différences de préparation entre les sites montrent une diversité dans les préférences culinaires des agriculteurs de la culture du vase à entonnoir.
Pour résumer, ces recherches offrent une vue fascinante et complexe des pratiques alimentaires des premiers agriculteurs du Néolithique. La diversité des végétaux transformés et la manière de préparer les céréales démontrent que ces populations avaient une alimentation plus variée et plus sophistiquée qu’on ne le pensait auparavant.