Aussi surprenant que cela puisse paraître, des organismes aussi petits que le krill – mais très nombreux – sont en mesure de jouer un rôle important dans le brassage de l’océan. Des expériences effectuées en laboratoire et financées par la National Science Fundation révèlent comment la migration verticale de ces crustacés joue un rôle clé dans la génération de turbulence océanique.
Les océans sont un réservoir gigantesque de chaleur, de nutriments, de dioxyde de carbone, de dioxygène et de bien d’autres éléments centraux dans la dynamique du climat et de la biosphère. Ces diverses quantités diffusent entre les diverses couches océaniques grâce au brassage permanent de la colonne d’eau.
Il a généralement été admis que les facteurs essentiels responsables de ce mélange turbulent étaient les vents soufflant à la surface des mers, les différences de densité ou encore les marées. Cependant, au cours de la dernière décennie, il est apparu que le vivant pouvait participer activement à ce mélange océanique. En particulier, un type de crustacé planctonique que l’on appelle communément le krill. Il s’agit de petites « crevettes » vivant en très grand nombre – jusqu’à quelques dizaines de milliers dans 1 mètre cube d’eau. Elles constituent un maillon central de la chaîne alimentaire marine.
Le déplacement du krill, générateur de turbulences
Pour se nourrir, le krill effectue des migrations verticales journalières entre la surface de la mer et quelques centaines de mètres de profondeur. En se basant sur des expériences faites en laboratoire*, des chercheurs ont montré que lorsque les crustacés se déplacent en essaims, ces migrations produisent un jet turbulent à l’origine de tourbillons et d’un mélange vertical significatif. Ceci à condition que la colonne d’eau soit stratifiée, ce qui est majoritairement le cas dans l’océan.
« Nous avons découvert avec surprise que ces petits animaux pouvaient avoir un énorme impact sur le brassage de la colonne d’eau. De plus, ils peuvent créer des tourbillons d’une taille bien plus grande que celle d’un de ces organismes pris individuellement », indique John Dabiri, biophysicien américain ayant participé aux expérimentations.
Si le mouvement de quelques-uns de ces animaux marins a un impact négligeable sur la dynamique de l’océan, celui de plusieurs millions – voire milliards – devient substantiel.
Une illustration de la force du nombre
Ainsi, le krill participe de toute évidence au transport de nutriments depuis les profondeurs vers la surface, où ils favorisent le développement du phytoplancton. Ou encore, au transport du dioxyde de carbone depuis la surface vers les profondeurs. La couche superficielle peut alors absorber plus efficacement ce gaz. Ces deux exemples n’étant bien entendu pas exhaustifs. Une matérialisation prenante de la force du nombre !
« Ce que nous essayons de faire, c’est de comprendre les processus qui régissent la circulation des océans par exemple, car cela nous permettra d’anticiper ce qu’il adviendra du climat dans le futur. Si ces organismes jouent un rôle important dans la dynamique de l’océan, il s’agit d’un élément important que nous devons ajouter à nos calculs quant à l’évolution du climat mondial dans les années à venir », précise John Dabiri.
Les résultats de cette démonstration expérimentale furent publiés en 2018, et pourraient s’appliquer à bien d’autres organismes. En conclusion, ces données pointent vers un couplage fondamental entre la faune marine et l’océan lui-même. Une dynamique qui n’est pas prise en compte dans les modèles climatiques et qui devra faire l’objet de recherches plus approfondies. Des rétroactions majeures impliquant le vivant pourraient en effet être manquées.
* Celles-ci ont mis en jeu des artémies, des organismes analogues au krill mais plus résistants en laboratoire.
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