« L’un des événements environnementaux les plus extrêmes sur Terre » s’est produit il y a 6,2 millions d’années

Bien avant de devenir le théâtre du récit biblique de Moïse, la mer Rouge a vécu sa propre catastrophe : elle s’est entièrement vidée, ne laissant qu’une immense plaine salée sous un soleil brûlant. Puis, dans un déluge d’une violence inouïe, l’océan Indien a déferlé pour la remplir à nouveau. Cette histoire extraordinaire, qui s’est déroulée il y a 6,2 millions d’années, vient d’être reconstituée par des chercheurs saoudiens grâce à des techniques de pointe. Un rappel saisissant que notre planète a connu des bouleversements dont nous peine à imaginer l’ampleur.

Quand l’Afrique et l’Asie ont divorcé

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut remonter 30 millions d’années en arrière. À cette époque, les plaques tectoniques arabique et africaine entament leur séparation. Le sol se fracture, s’affaisse, créant une profonde vallée de rift parsemée de lacs. C’est la naissance de la mer Rouge, même si elle ne ressemble pas encore à l’étendue d’eau que nous connaissons aujourd’hui.

Il y a 23 millions d’années, un événement majeur transforme cette vallée : la mer Méditerranée envahit le bassin, apportant avec elle la vie marine. Les récifs coralliens prospèrent, les poissons pullulent. Des fossiles découverts le long de la côte saoudienne, près de Duba et d’Umlujj, témoignent de cette période faste où la biodiversité explosait.

À cette époque, la mer Rouge se déverse naturellement dans la Méditerranée. Aujourd’hui, ce lien n’existe plus que grâce au canal de Suez, cette cicatrice artificielle creusée par l’homme au 19ème siècle.

La lente agonie d’une mer

Mais le paradis ne dure jamais éternellement en géologie. Il y a 16 millions d’années, les conditions changent radicalement. Le climat se réchauffe, l’évaporation s’intensifie. Pire encore, la circulation des eaux devient défaillante. Résultat : la salinité augmente de manière dramatique.

La vie marine commence à suffoquer. Les organismes les moins tolérants au sel meurent les premiers, puis c’est au tour des espèces plus résistantes. La mer Rouge se transforme progressivement en un environnement hostile où presque plus rien ne peut survivre.

Et puis, l’impensable se produit : la mer perd tellement d’eau qu’elle cesse tout simplement d’exister. Le bassin se vide, laissant apparaître un fond marin craquelé, blanchi par des dépôts de sel massifs. Imaginez une dépression de plusieurs kilomètres de profondeur, large de centaines de kilomètres, remplie uniquement de cristaux de sel étincelant sous un soleil impitoyable.

Une catastrophe planétaire

Ce phénomène n’est pas isolé. Les scientifiques le relient à ce qu’on appelle la crise de salinité messinienne, un bouleversement géologique qui a frappé toute la région méditerranéenne. Pendant environ un demi-million d’années, la mer Méditerranée elle-même s’est transformée en un gigantesque bassin salé, perdant jusqu’à 90% de son eau.

Les raisons exactes de cette catastrophe font encore débat, mais elles impliquent probablement des changements dans la connexion avec l’océan Atlantique, combinés à des variations climatiques majeures. La Méditerranée et la mer Rouge, qui partagent une histoire géologique commune, ont subi ce destin ensemble.

mer rouge
Crédit : ISS/NASA
La mer Rouge, photographiée par un astronaute à bord de la Station spatiale internationale en 2016.

Le déluge qui a tout changé

Puis, il y a 6,2 millions d’années, la situation se renverse brutalement. Une connexion s’ouvre entre la mer Rouge asséchée et l’océan Indien. L’eau commence à s’infiltrer, d’abord en filet, puis en torrent.

Ce qui suit défie l’imagination : une méga-inondation d’une puissance colossale. Des milliards de mètres cubes d’eau salée déferlent dans le bassin vide, créant probablement des cascades gigantesques, des tourbillons massifs, un grondement assourdissant. En quelques mois, peut-être quelques années tout au plus, la mer Rouge renaît.

Cette inondation restaure instantanément les conditions marines. La vie peut à nouveau coloniser ces eaux, même si elle mettra des millénaires à retrouver sa diversité d’antan. Surtout, ce déluge établit un lien durable entre la mer Rouge et l’océan Indien, une connexion qui persiste encore aujourd’hui.

La science reconstitue l’impossible

Cette histoire extraordinaire, nous la connaissons grâce à une étude récente menée par des chercheurs de l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah en Arabie saoudite. Le Dr Tihana Pensa et son équipe ont utilisé un arsenal de techniques sophistiquées pour décrypter les archives géologiques : imagerie sismique pour « voir » sous le fond marin, analyse de microfossiles pour dater les événements, datation géochimique pour établir une chronologie précise.

« Nos résultats montrent que le bassin de la mer Rouge a enregistré l’un des événements environnementaux les plus extrêmes sur Terre », explique le Dr Pensa. Et effectivement, rares sont les endroits qui ont connu une transformation aussi radicale : passer d’une mer vivante à un désert salé, puis revenir à une mer en l’espace de quelques millions d’années.

Un avertissement pour aujourd’hui

L’étude, publiée dans Communications Earth & Environment, se conclut sur une note plus sombre. Oui, la mer Rouge a survécu à des catastrophes extrêmes par le passé. Mais le réchauffement climatique actuel menace ses récifs coralliens à une vitesse qui n’a rien de comparable avec les changements géologiques lents du passé.

Cette fois, le bouleversement ne se mesure pas en millions d’années, mais en décennies. Et contrairement à la nature qui a disposé de tout le temps nécessaire pour reconstruire les écosystèmes après l’inondation du Miocène, nos récifs n’auront peut-être pas cette chance.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.