Le loup d’Éthiopie (Canis simensis), également appelé chacal rouge ou loup d’Abyssinie, est l’espèce de canidé sauvage la plus rare au monde et le carnivore le plus menacé d’Afrique. Moins de 500 individus de cette espèce endémique des hauts plateaux éthiopiens survivent en effet en 99 meutes réparties dans six enclaves afroalpines. Une équipe internationale composée notamment de chercheurs de l’Université d’Oxford vient d’observer ces animaux normalement carnivores en train de lécher le nectar de fleurs éthiopiennes. Ils deviennent ainsi les premiers grands carnivores connus pour se nourrir de nectar.
Toutefois, les implications de cette découverte insolite vont plus loin qu’une énième bizarrerie dans le monde animal. En effet, les efforts de conservation en cours pour ce prédateur semblable au coyote pourraient non seulement contribuer au maintien des populations locales de faune sauvage, mais aussi permettre la pollinisation des plantes grâce à leur appétit pour les petites douceurs nichées dans les hauts plateaux africains.
Des loups amateurs de fleurs
Les kniphofias éthiopiens (Kniphofia foliosa) sont des fleurs vivaces du genre Kniphofia, originaires d’Éthiopie, qui fleurissent généralement entre mai et octobre. Chaque année, des pollinisateurs tels que des oiseaux, des insectes et de petits mammifères visitent ces plantes pour boire leur nectar abondant. Les habitants locaux des montagnes utilisent également traditionnellement ce nectar au goût très doux comme édulcorant pour le café ou les galettes.
Et bien que le régime alimentaire du loup d’Éthiopie soit habituellement principalement composé de rongeurs, une nouvelle étude publiée en novembre dans la revue Ecology confirme que les chacals rouges se nourrissent aussi fréquemment du nectar de kniphofia éthiopien. Sandra Lai, du Programme de conservation du loup d’Éthiopie (EWCP) de l’Université d’Oxford, et ses collègues ont effectivement observé ces animaux en train de laper avidement le nectar sucré de ces végétaux d’un jaune orangé intense.
Ces loups seraient la première espèce de grands carnivores régulièrement observée en train de se nourrir de nectar. Et ce ne sont pas seulement les individus adultes qui se rendent dans les champs en fleurs. L’étude note en effet également que les jeunes loups semblent apprendre à récolter le nectar auprès de leurs parents et d’autres membres de la meute. Toutefois, ce comportement pourrait aller au-delà de la simple gourmandise.
Possiblement des acteurs surprenants de la pollinisation
« Pour les grands carnivores, comme les loups, la consommation de nectar est très inhabituelle en raison de l’absence d’adaptations physiques, telles qu’une longue langue ou un museau spécialisé, et parce que la plupart des fleurs sont trop fragiles ou produisent trop peu de nectar pour intéresser de grands animaux », explique Lai qui rappelle que ces végétaux ont toutefois la particularité d’avoir des inflorescences très robustes qui facilitent de ce fait ce comportement inédit. « À ma connaissance, aucun autre grand prédateur carnivore ne présente ce type de comportement, bien que certains ours omnivores puissent opportunément chercher du nectar, mais cela reste rare et mal documenté. »
Ici, certains loups pouvaient visiter jusqu’à trente fleurs en un seul déplacement. En léchant le nectar, leurs museaux se couvrent de pollen, qu’ils pourraient potentiellement transférer d’une fleur à l’autre en se nourrissant. Ils pourraient donc agir comme des pollinisateurs. « Ce comportement est intéressant, car il montre que la consommation de nectar et la pollinisation par des mammifères non volants pourraient être plus répandues qu’on ne le pense actuellement et que l’importance écologique de ces pollinisateurs moins connus pourrait être plus grande qu’on ne l’imagine », ajoute Lai. « C’est très excitant. »
« Ces découvertes montrent combien nous avons encore à apprendre sur l’un des carnivores les plus menacés au monde. Cela illustre également la complexité des interactions entre les différentes espèces qui vivent sur le magnifique Toit de l’Afrique », conclut la chercheuse.
Encore beaucoup à apprendre sur ces loups très rares
« Essayer de confirmer une véritable pollinisation par les loups serait idéal, mais cela s’avérerait assez difficile », estime l’experte. « Je suis également très intéressée par l’aspect apprentissage social de ce comportement. Cette année, nous avons vu des adultes amener leurs jeunes dans les champs de fleurs, ce qui pourrait indiquer une transmission culturelle. » Sandra Lai et ses collègues espèrent donc désormais approfondir leurs recherches sur ce comportement et ses implications.
Vous pouvez retrouver cette étude étonnante publiée le 19 novembre dernier dans le journal Ecology sur ce lien.