empreinte Lune Chine
Crédits : Issaurinko/istock

L’exploration lunaire change de main : la prochaine empreinte ne sera peut-être pas américaine

Depuis quelques années, un nouvel acteur s’impose discrètement mais sûrement dans la conquête lunaire. Tandis que la NASA occupe encore le devant de la scène en matière d’exploration spatiale habitée, la Chine construit patiemment, mission après mission, les fondations d’un programme d’exploration lunaire qui pourrait bien changer la donne. À travers une série de missions robotiques baptisées Chang’e, l’Empire du Milieu affiche des ambitions de plus en plus claires : non seulement retourner sur la Lune, mais aussi s’y installer. Objectif affiché : une mission habitée d’ici 2030. Et si la première base permanente sur notre satellite ne portait pas les couleurs américaines, mais chinoises ?

Une montée en puissance méthodique

Le programme chinois d’exploration lunaire (CLEP) débute officiellement en 2007, avec le lancement de Chang’e 1, du nom de la déesse lunaire dans la mythologie chinoise. Cette mission orbitale a permis de cartographier la surface de la Lune avec une précision inédite à l’époque, ouvrant la voie à de futures opérations d’atterrissage.

Trois ans plus tard, Chang’e 2 reprend la même trajectoire, mais avec des instruments plus performants, avant de quitter l’orbite lunaire pour s’aventurer jusqu’à l’astéroïde 4179 Toutatis. Un test grandeur nature des capacités de communication longue distance de l’agence spatiale chinoise.

Le véritable tournant survient en 2013, avec Chang’e 3, premier atterrisseur chinois à se poser en douceur sur la surface lunaire. Accompagnée du rover Yutu (« Lapin de Jade »), la mission marque une rupture : la Chine ne se contente plus d’observer la Lune, elle commence à l’explorer.

Une fascination pour la face cachée

En janvier 2019, Chang’e 4 repousse les limites en devenant la première mission à se poser sur la face cachée de la Lune, une région jusqu’alors inexplorée à ce niveau de détail. Transportant le rover Yutu-2, l’atterrisseur s’installe dans le bassin Pôle Sud-Aitken, l’un des plus grands cratères d’impact du système solaire. Cette zone intrigue les scientifiques pour ses caractéristiques géologiques uniques, mais aussi pour son potentiel en matière de ressources exploitables.

Les missions suivantes poursuivent cette logique d’exploration et de préparation au retour humain. Chang’e 5, en 2020, réussit à ramener près de deux kilos de régolithe lunaire, un exploit qui n’avait plus été réalisé depuis les années 1970. Et en 2024, Chang’e 6 enfonce le clou : nouveau retour d’échantillons, nouveau rover (Jinchan), et toujours la face cachée comme théâtre d’opérations.

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La face cachée de la Lune et la Terre lointaine, photographiées par le module de service de la mission Chang’e-5 T1 de 2014. Crédits : Académie chinoise des sciences

Vers une base robotisée

Mais les véritables ambitions chinoises se précisent avec les futures missions Chang’e 7 (prévue pour 2026) et Chang’e 8 (attendue en 2028). Leur objectif : préparer le terrain pour une base robotisée qui servirait de tremplin à l’installation humaine. Elles devront tester des technologies clés comme la communication orbitale, la coopération entre rovers et surtout l’ISRU (In-Situ Resource Utilization), autrement dit, l’exploitation des ressources disponibles sur place.

L’idée est simple : lancer du matériel depuis la Terre coûte extrêmement cher. Pour rendre une présence lunaire viable à long terme, il faudra utiliser les ressources locales – extraire de l’eau, produire de l’oxygène, voire construire des structures à partir du sol lunaire. C’est dans ce contexte que la Chine multiplie les tests, pour valider chaque étape de cette vision ambitieuse.

Une mission habitée dès 2030 ?

Selon les annonces officielles, la Chine prévoit d’envoyer des astronautes sur la Lune d’ici 2029 ou 2030. Pour y parvenir, elle développe actuellement une nouvelle fusée lourde, la Longue Marche 10, capable d’envoyer jusqu’à 70 tonnes en orbite basse terrestre et 27 tonnes vers la Lune. Cette capacité permettra un scénario en deux lancements : un premier pour l’atterrisseur, un second pour le vaisseau habité.

Sur le plan technique, tout reste encore à assembler. Le vaisseau spatial, les combinaisons, les modules de descente : autant d’éléments encore en développement. Contrairement à la NASA, l’agence spatiale chinoise communique peu sur les avancées internes, ses budgets ou ses retards. Mais une chose est certaine : ses résultats parlent d’eux-mêmes.

Un futur multipolaire de l’exploration spatiale

L’espace n’est plus un terrain de jeu réservé aux États-Unis. L’Europe, l’Inde, le Japon et désormais la Chine s’inscrivent comme des puissances spatiales crédibles. Si les objectifs chinois restent entourés de discrétion, leurs missions passées montrent une rigueur méthodique et une montée en puissance constante.

La question n’est donc plus de savoir si la Chine ira sur la Lune, mais quand elle y posera des humains – et si elle y arrivera avant les autres. Face à la lenteur du programme Artemis et à la volatilité des soutiens politiques en Occident, la Chine pourrait bien être le prochain pays à inscrire son nom dans la poussière lunaire.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.