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L’Europe vient de décider où chercher la vie extraterrestre (et ce n’est pas Mars)

Pendant que le monde entier fixe Mars comme destination prioritaire dans la quête de vie extraterrestre, l’Agence spatiale européenne vient de miser sur une cible autrement plus prometteuse. Encelade, petite lune glacée de Saturne, pourrait bien abriter les premières formes de vie découvertes hors de la Terre. L’ESA a officiellement annoncé une mission ambitieuse qui ne décollera qu’en 2042, mais dont les implications pourraient révolutionner notre compréhension de l’univers. Cette décision marque un tournant stratégique majeur dans l’exploration spatiale européenne.

Des geysers qui intriguent depuis vingt ans

Entre 2005 et 2015, la sonde Cassini de la NASA a méthodiquement cartographié le système saturnien, multipliant les survols rapprochés d’Encelade. Les images capturées lors de ces passages ont révélé un phénomène spectaculaire : d’immenses panaches de glace d’eau jaillissant des profondeurs de cette lune, projetés à des milliers de kilomètres dans l’espace depuis son pôle sud.

En 2023, le télescope spatial James Webb a confirmé l’ampleur extraordinaire de ce phénomène en observant un panache s’étendant sur plus de 10 000 kilomètres. Ces fontaines cosmiques ne constituent pas de simples curiosités géologiques. Elles représentent une fenêtre directe vers un océan souterrain potentiellement habitable, piégé sous une épaisse croûte de glace.

Les scientifiques disposent ainsi d’un accès privilégié à un environnement qui, ailleurs, nécessiterait de forer à travers plusieurs kilomètres de glace. Sur Encelade, l’océan vient littéralement à notre rencontre, éjectant régulièrement son contenu dans l’espace où il peut être échantillonné et analysé.

Une mission en deux temps pour percer les mystères d’un océan alien

L’ESA a dévoilé les grandes lignes de sa stratégie lors de la réunion conjointe du Congrès scientifique Europlanet et de la Division des sciences planétaires, tenue à Helsinki début septembre. Le projet s’inscrit dans le cadre ambitieux de Voyage 2050, le programme d’activités scientifiques à long terme de l’agence européenne.

La mission mobilisera deux composantes complémentaires : un orbiteur et un atterrisseur. Contrairement à une sonde passive, l’orbiteur jouera un rôle actif en traversant délibérément les panaches pour collecter, échantillonner et analyser directement leur composition chimique. Cette approche permettra de caractériser précisément les molécules organiques et les composés chimiques présents dans l’océan souterrain.

Le plan actuel prévoit deux lancements distincts utilisant la plus grande variante de la fusée européenne Ariane 6. Selon le calendrier provisoire établi par l’équipe dirigée par Jörn Helbert du Centre européen de recherche et de technologie spatiales, le premier lancement interviendrait en 2042. Le vaisseau spatial entreprendrait ensuite un voyage de plus de dix ans à travers le système solaire, atteignant le système saturnien vers 2053.

L’atterrisseur ne se poserait sur la surface glacée qu’après plusieurs survols destinés à cartographier précisément le terrain et identifier le site d’atterrissage optimal. Cette phase d’approche progressive permettrait d’atteindre la surface vers 2058, inaugurant ainsi la première exploration in situ d’une lune glacée du système solaire externe.

Encelade
Les lunes Encelade et Iapetus en orbite dans l’espace. Rendu 3d. Crédits :Ianm35/istock

Les trois critères de l’habitabilité réunis

L’engouement scientifique pour Encelade repose sur des fondements solides. Selon Jörn Helbert, cette lune réunit les trois conditions fondamentales nécessaires à l’émergence de la vie : de l’eau liquide en abondance, les éléments chimiques essentiels, et une source d’énergie suffisante.

La présence d’eau liquide ne fait plus aucun doute. Les panaches observés proviennent manifestement d’un vaste réservoir souterrain maintenu à l’état liquide malgré les températures glaciales régnant à la surface. Ce réchauffement interne résulte probablement des forces de marée exercées par Saturne, qui déforment la structure interne d’Encelade, générant une chaleur par friction.

Mais c’est une découverte plus récente qui a véritablement électrisé la communauté scientifique. En 2021, une équipe de chercheurs a publié dans Nature Astronomy une analyse troublante concernant le méthane détecté dans les panaches. La quantité observée de ce gaz s’échappant des fameuses « rayures du tigre » – ces fissures caractéristiques zébrant le pôle sud – ne peut s’expliquer par aucun processus géochimique connu.

Sur Terre, des concentrations similaires de méthane résultent presque exclusivement de l’activité biologique, notamment celle de micro-organismes méthanogènes prospérant dans des environnements similaires aux conditions présumées d’Encelade. Cette signature chimique ambiguë constitue précisément le type d’indice que recherchent les astrobiologistes.

Vers une révolution de notre vision de l’univers

La mission vers Encelade s’inscrit dans une stratégie plus large visant plusieurs lunes glacées du système solaire externe, notamment Europe autour de Jupiter. Ces mondes aquatiques représentent des laboratoires naturels où les conditions d’émergence de la vie peuvent être étudiées dans des contextes radicalement différents de la Terre.

La découverte de vie microbienne, même primitive, dans l’océan d’Encelade aurait des répercussions philosophiques et scientifiques considérables. Elle démontrerait que la vie peut apparaître indépendamment dans notre propre système solaire, suggérant que les conditions nécessaires à son émergence sont moins exceptionnelles qu’on ne l’imaginait.

Cette perspective multiplierait exponentiellement la probabilité statistique d’existence d’une vie extraterrestre intelligente quelque part dans l’immensité galactique. Si la vie a émergé deux fois dans un seul système planétaire, les centaines de milliards d’étoiles de notre galaxie deviennent autant d’opportunités potentielles.

Bien que les premières réponses ne soient attendues que dans plusieurs décennies, l’équipe d’étude de l’ESA travaille déjà depuis mars dernier à identifier les exigences scientifiques et technologiques critiques. Cette mission lointaine représente un pari audacieux sur notre avenir spatial, mais aussi sur la question la plus fondamentale que l’humanité se soit jamais posée : sommes-nous seuls dans l’univers ?

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.