L’étrange cas de cet homme qui voit des gribouillis à la place de certains chiffres

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Crédits : Université Johns-Hopkins

Un nouveau rapport de cas témoignant de l’incapacité d’un homme à distinguer certains chiffres numériques suggère que notre cerveau peut reconnaître des concepts complexes avant même que nous en ayons conscience.

Dans le cadre d’une étude, des chercheurs de l’Université John-Hopkins (États-Unis) ont analysé le cas d’un homme, surnommé RFS, à qui l’on a diagnostiqué en 2011 une maladie dégénérative rare du cerveau (syndrome corticobasal), conduisant à une atrophie étendue du cortex et des noyaux gris centraux.

Quelques mois plus tôt, le patient avait commencé à souffrir de maux de tête, de pertes de mémoire temporaires et de spasmes musculaires. À tous ces symptômes, qui s’étaient ensuite aggravés avec le temps, s’était alors ajoutée une incapacité à distinguer les chiffres de 2 à 9.

De vrais gribouillis

À la place, il ne voit en effet que des lignes noires ondulées. En outre, si ces chiffres sont imprimés dans une couleur, cette couleur devient alors l’arrière-plan des gribouillis noirs. Par ailleurs, à chaque fois qu’il détourne le regard avant de revenir sur un chiffre, les lignes changent de forme, ce qui rend impossible de discerner leur identité par inférence.

Enfin, placez un numéro au-dessus d’une image d’un objet familier, comme un violon, et toute l’image devient brouillée. Ainsi, le patient ne peut plus identifier le violon. En revanche, éloignez petit à petit l’image de l’instrument et celui-ci réapparaîtra de nouveau clairement dans son regard.

« Le truc, c’est qu’il est vraiment bon avec les chiffres. Il est ingénieur et utilise tout le temps des chiffres dans son travail. Il sait toujours ce qu’ils sont et les comprend, explique Michael McCloskey, principal auteur de l’étude. C’est juste que, lorsqu’il en regarde certains, comme un huit ou un trois, tout semble brouillé – c’est du spaghetti total, pour reprendre les mots du patient ».

De manière étonnante, si effectivement RFS ne peut percevoir les chiffres de 2 à 9, il peut en revanche percevoir les 0 et 1. En outre, il a également signalé une certaine distorsion en observant les lettres M, N, P, R, S, Z, mais pas au point où il ne peut pas les identifier.

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La patient essaye de dessiner le chiffre 8. Crédits : Université John Hopkins

L’incroyable complexité du cerveau

Dans le cadre de cette étude, publiée dans PNAS, les chercheurs ont mené quelques expériences en utilisant l’électroencéphalographie (EEG) pour surveiller l’activité cérébrale du patient au cours de diverses tâches.

Comme prévu, lorsqu’on lui a montré un visage surplombé d’un numéro, RFS ignorait complètement qu’il y avait un visage ou un numéro dans ce qu’il voyait. En effet, comme expliqué plus haut, l’ensemble de l’image se brouillait. Pourtant, son activité EEG indiquait que son cerveau répondait de la même manière que s’il regardait normalement un visage (certaines parties du cerveau « s’illuminent » lorsque nous voyons des visages).

Ainsi, le cerveau de RFS semble avoir été capable de détecter la présence d’un visage alors même que le patient n’en avait aucunement conscience.

De même, lorsqu’on lui a montré des mots avec des chiffres intégrés, le patient ne voyait rien d’autre qu’un désordre brouillé. Et là encore, l’EEG suggérait que son cerveau obtenait bien l’image complète.

« Il ignorait complètement qu’un mot était là, mais son cerveau détectait effectivement sa présence.  Mieux encore, il était capable de définir quel mot il s’agissait », souligne le chercheur. En l’occurence ici, le mot « tuba ».

Alors, que pouvons-nous apprendre de cet étrange rapport de cas ? Les chercheurs évoquent une séparation de la perception et de la conscience. Le cerveau peut en effet identifier les visages, les mots et les images, mais il y aurait un niveau supplémentaire de traitement neuronal requis pour les porter à notre conscience. En l’occurence ici, c’est cette capacité de traitement supplémentaire qui serait altérée chez le patient.

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