Les risques de transitions critiques associés au changement climatique sont-ils sous-estimés ?

Crédits : Max Pixel

Une étude parue le 30 mai dernier dans la revue scientifique Nature Climate Change met en avant notre capacité d’anticipation limitée concernant les transitions critiques pouvant résulter du changement climatique en cours.

Les études sur le changement climatique et ses effets sur l’environnement ou la société portent souvent sur l’analyse des évolutions moyennes et de la variabilité. Par exemple, on parle souvent de l’évolution moyenne des températures attendue sur les prochaines décennies. On raffine parfois en mentionnant la tendance concernant la variabilité : sera-t-elle plus ou moins marquée en climat plus chaud ? Toutefois, la prise en compte de ces indicateurs n’est pas suffisante si l’on s’intéresse aux risques de transitions brutales associés au réchauffement global. Prenons pour exemple l’effondrement de certains écosystèmes, l’accélération brutale et irréversible de la fonte des grandes calottes, la modification rapide des circulations océaniques, les déliquescences socio-politiques, etc.

Les risques de dépasser des points de non-retour ont surtout été étudiés en utilisant des modèles simplifiés et sans variabilité climatique, ou pour les travaux qui en tenaient compte en l’assimilant à un bruit blanc. Cette approximation n’est pas bien vérifiée dans le système climatique où la variabilité se caractérise beaucoup mieux par un bruit rouge. À ce stade, quelques précisions s’imposent : dans le contexte décrit ici, lorsque l’on parle de bruit rouge – ou bruit auto-corrélé – on fait référence à la mémoire du système. Un bruit blanc n’est pas auto-corrélé, il ne possède donc pas de mémoire. Ces notions sont très importantes, car la mémoire du système traduit ce que l’on appelle plus communément la persistance. Par exemple, les anomalies atmosphériques tendent à persister au moins quelques jours, parfois plusieurs semaines. On peut donc dire que l’atmosphère en une région donnée est fortement auto-corrélée d’un jour à l’autre.

Les données paléoclimatiques et les observations contemporaines nous montrent que la mémoire des variables climatiques n’est pas stationnaire, mais qu’elle peut changer d’une décennie ou d’un siècle à l’autre, d’autant plus si le climat se modifie… Ces évolutions sont cruciales face aux risques de franchissement de points de non-retour, car si la mémoire – et donc la persistance – augmente, la durée pendant laquelle un système va subir des conditions très éloignées de la normale sera plus longue, et la capacité à s’en remettre se retrouvera amoindrie. Prenons un exemple : une vague de chaleur prolongée aura plus d’impacts négatifs sur un système donné que plusieurs vagues de chaleur de durée plus courte. La capacité à pousser ce système au-delà du seuil critique est bien plus élevée pour le premier cas que pour le dernier – car la durée de l’excursion en dehors de l’équilibre sera plus longue.

Des évidences empiriques de ce genre de processus existent. On citera le cas du glacier de l’Île du Pin en Antarctique, un de ceux qui reculent le plus rapidement. Son recul s’est accéléré dans les années 1940 à la suite de l’épisode El Niño le plus long jamais observé sur le dernier siècle, entre 1939 et 1942. Suite à l’anomalie chaude intense – et surtout très durable qui en a résulté -, ce glacier a été poussé hors d’équilibre. Cette anomalie persistante l’a conduit à dépasser un point de non-retour. Malgré le fait que les conditions climatiques sont ultérieurement revenues à la normale, la phase de recul et d’amincissement s’est poursuivie de manière irréversible jusqu’à aujourd’hui.

En résumé, l’étude indique que la prise en compte de la mémoire des variables climatiques et de sa modification dans le contexte du réchauffement global augmente significativement le risque de connaître des transitions critiques dans les systèmes sensibles à seuils (tels que les écosystèmes, la circulation océanique, les calottes glaciaires, les sociétés humaines…). Les simples analyses de moyenne ou de variabilité sur cette problématique se révèlent donc insuffisantes. En conséquence, les futures études devront considérer plus sérieusement l’auto-corrélation temporelle et son évolution afin de mieux cerner et anticiper ces risques, qu’ils soient de nature physique, biologique ou sociétale.

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