Chez l’humain, il est établi depuis très longtemps que la taille du cerveau ne fait pas l’intellect ni la performance. D’ailleurs, l’homme qui détient le record mondial en matière de volume crânien souffrait d’épilepsie et de problèmes de développement notoires. Qu’en est-il chez le meilleur ami de l’homme ? Quelques races de chiens sont en effet réputées pour leur intelligence hors pair et certains animaux de compagnie brillent par leur mémoire exceptionnelle et leurs capacités cognitives étonnantes, mais on ignore encore beaucoup de choses à ce sujet.
Dans leur étude publiée le 13 novembre dans Biology Letters des chercheurs de l’Université de Montpellier s’intéressent plus en détail à l’intellect canin. Grâce à leur comparaison exhaustive de nombreuses races, ils font des révélations passionnantes sur nos compagnons à quatre pattes qui prouvent encore une fois s’il le fallait que la taille ne fait pas tout…
La taille du cerveau et celle du corps d’un chien
Pour cette étude, des chercheurs de l’Université de Montpellier ont analysé les cerveaux de 1 682 crânes de chiens adultes représentant 172 races différentes conservés au Musée d’histoire naturelle de Berne en Suisse. Pour ce faire, ils ont compilé des données sur le volume endocrânien relatif (REV), soit la taille du cerveau par rapport à celle du corps, afin de mesurer si le cerveau de chaque race est grand ou petit. À cela s’ajoutent des scores pour quatorze traits comportementaux recueillis à partir du Canine Behavioral Assessment and Research Questionnaire, une évaluation comportementale standardisée des races de chiens qui mesure l’obéissance, les comportements de recherche d’attention, l’agressivité et d’autres traits.
Les chercheurs ont alors découvert que les races avec un cerveau plus petit répondent mieux à l’entraînement et ont une bonne mémoire à court terme, deux traits considérés comme des signes de plus grande puissance cérébrale chez les chiens. En revanche, un cerveau plus large selon le rapport cerveau/corps s’accompagne plutôt d’une intelligence moindre.
« Les chiens présentent de multiples personnalités, fonctions et capacités cognitives qui peuvent surpasser celles des primates non humains. Nos résultats montrent que des compétences complexes et un comportement coopératif, une caractéristique de la cognition sociale, ne prédisent pas une plus grande [taille du cerveau] chez les chiens », déclarent ainsi Ana Balcarcel, biologiste et paléontologue à l’Université de Montpellier, et ses collègues dans leurs travaux.
Les chiens de travail vs les chiens de compagnie
L’équipe souligne que la différence a été accentuée par le fait que les chiens plus grands ont été élevés pour accomplir des tâches complexes visant à assister les humains (la recherche et le sauvetage, le guidage et la surveillance), alors que les petits chiens sont principalement dressés pour être des compagnons au quotidien. Des recherches antérieures ont également montré que les chiens de travail ont une meilleure fonction exécutive que les autres races de chiens, c’est-à-dire un meilleur contrôle comportemental et une meilleure mémoire à court terme. Les grands chiens comme les Retrievers, les Montagnes des Pyrénées, les Rottweilers ou les Huskies sibériens ont une composition différente des tissus internes du cerveau par rapport aux petits chiens.
L’étude a également révélé que les races de chiens avec une taille de cerveau relative plus grande, principalement les races de petite taille, comme les chihuahuas, les poméraniens et les yorkshire terriers, présentaient des niveaux plus élevés de peur et d’agressivité, d’anxiété de séparation et de recherche d’attention. L’équipe suppose que ces petits chiens étant principalement domestiqués pour l’accompagnement des humains, cela explique ces traits d’affection et de recherche d’attention plus marqués. La peur et l’agressivité peuvent en outre ne pas avoir été aussi désavantageuses pour ces races que pour les chiens de travail, dressés pour être plus faciles à entraîner et obéissants.
Pourquoi les chiens sont-ils différents des autres animaux ?
En général, dans le règne animal, les grands cerveaux sont considérés comme un signe de capacité cognitive avancée. Des recherches antérieures ont d’ailleurs suggéré que les cerveaux plus gros tendent à être corrélés avec de meilleures chances de survie, une meilleure prise de décision et une capacité accrue de traitement de l’information. Bien que ces découvertes puissent sembler contre-intuitives, les scientifiques expliquent toutefois que l’élevage intensif par les humains a déformé l’organisation naturelle du cerveau des chiens pendant des siècles.
Le concept de race n’est en effet absolument pas naturel, il a été créé par les humains lorsque nous avons commencé à élever intensivement les canidés vers la fin des années 1800. Depuis lors, les chiens ont été élevés sélectivement pour accentuer des caractéristiques potentiellement néfastes afin de créer ces races et soutenir l’industrie de l’achat de chiens.
« La différence clé ici est que les chiens ne se trouvent pas dans un environnement naturel », rappelle finalement Balcarcel. « Ils sont le résultat d’une sélection artificielle… une sélection très dirigée, une évolution sous la main de l’homme. (…) Nous pouvons dire que nous avons vraiment altéré les cerveaux, pas seulement la taille des corps et les proportions des différents chiens, mais il semble aussi que nous ayons modifié leurs cerveaux de manière significative. »
Une forte différence avec les loups
Dans l’ensemble, les chiens domestiques possèdent une taille de cerveau en moyenne 20 % plus petite que celle de leur plus proche parent sauvage : le loup gris (Canis lupus). Que ce soit pour trouver de la nourriture, éviter les prédateurs ou trouver un partenaire, les chiens domestiques ont moins de besoins cognitifs que les chiens sauvages. Selon la théorie, cette réduction de la demande cognitive aurait entraîné une diminution progressive du cerveau des animaux domestiques. Les chiens domestiqués sont toutefois plus spécialisés au fil de leur évolution dans les compétences sociales complexes en coopération avec les humains, d’où notamment leur capacité à suivre le regard des humains et interpréter leurs gestes.
Ces recherches ne font en tout cas que commencer. L’équipe prévoit à présent de comparer la forme et la fonction du cerveau de différentes races, notamment en s’attardant sur les variations de la forme du néocortex (une partie du cerveau responsable des fonctions de haut niveau). Il y a en tout cas un point qu’il ne faut pas négliger. Malgré leurs découvertes, les chercheurs admettent et rappellent que les personnalités, compétences et capacités cognitives peuvent « varier au sein des races et entre les individus ». Ainsi, la taille de votre animal ne racontera pas forcément toute l’histoire et peut vous réserver des surprises, tant bonnes que mauvaises…
Ces résultats soulignent l’impact de la sélection artificielle sur l’évolution des capacités cognitives des chiens, mais ils posent aussi une question fondamentale : jusqu’à quel point cette sélection dirigée par l’homme influence-t-elle leur bien-être ? Si certaines caractéristiques ont été exacerbées pour répondre à des critères esthétiques ou utilitaires, cela s’est parfois fait au détriment des besoins naturels des animaux, tels que leur capacité à interagir de manière autonome avec leur environnement ou à gérer le stress. Comprendre ces implications pourrait ouvrir la voie à une approche plus éthique et équilibrée dans l’élevage des chiens.
Pour plus d’informations, l’étude complète est à retrouver ici.