matière antimatière
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Les physiciens du CERN viennent de découvrir pourquoi vous existez (et c’est plus complexe que prévu)

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous existez ? Non pas dans un sens philosophique, mais littéralement : pourquoi la matière qui compose votre corps, votre environnement et tout l’univers visible existe-t-elle ? Cette question fondamentale de la physique vient de franchir une étape décisive grâce à une découverte révolutionnaire réalisée au Grand collisionneur de hadrons du CERN.

Le paradoxe de l’existence

Selon nos modèles cosmologiques, le Big Bang aurait dû créer des quantités parfaitement égales de matière et d’antimatière. Le problème ? Ces deux formes de matière s’annihilent mutuellement dès qu’elles entrent en contact, libérant uniquement de l’énergie. Dans un univers parfaitement symétrique, nous devrions donc évoluer dans un cosmos vide, baigné uniquement de radiations. Pourtant, nous sommes là, constitués de matière ordinaire, dans un univers visiblement dominé par cette dernière.

Cette énigme cosmologique suggère qu’une asymétrie fondamentale a permis à une fraction de matière de survivre à l’annihilation primordiale. Les physiciens ont baptisé ce phénomène « violation de la charge-parité », ou violation CP, un processus qui fait que les lois de la physique traitent différemment la matière et l’antimatière.

Une chasse aux particules de huit ans

L’équipe du LHCb (Large Hadron Collider beauty) s’est lancée dans une quête ambitieuse : observer pour la première fois cette violation CP dans les baryons, les particules qui constituent l’essentiel de la matière visible. Contrairement aux mésons, où ce phénomène avait déjà été détecté, les baryons représentent un territoire inexploré pour cette asymétrie fondamentale.

La tâche s’est révélée titanesque. Entre 2011 et 2018, les chercheurs ont minutieusement analysé environ 80 000 événements de désintégration impliquant le baryon lambda de beauté (Λb) et sa version antimatière. Cette patience a fini par payer : ils ont détecté une différence de comportement de 2,5% entre ces particules jumelles, un écart statistiquement significatif qui constitue la première preuve directe de violation CP dans les baryons.

Un seuil historique franchi

Cette découverte atteint une signification statistique de 5,2 sigma, le seuil doré de la physique des particules qui transforme une observation intrigante en découverte officielle. Pour donner une perspective, cela signifie qu’il n’y a qu’une chance sur dix millions que ce résultat soit dû au hasard.

Vincenzo Vagnoni, porte-parole de l’expérience LHCb, explique que cette détection tardive s’explique par la subtilité de l’effet et la quantité monumentale de données nécessaires. Là où quelques milliers d’événements suffisaient pour observer la violation CP dans les mésons, il a fallu plus de 80 000 désintégrations baryoniques pour révéler cette asymétrie.

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Crédits : CERN

Une pièce du puzzle, pas la solution

Malgré son importance historique, cette découverte ne résout pas entièrement le mystère de notre existence. L’ampleur de l’asymétrie observée correspond aux prédictions du Modèle standard de la physique des particules, mais reste insuffisante pour expliquer la dominance actuelle de la matière dans l’univers.

Cette limitation suggère que d’autres mécanismes, relevant de la « nouvelle physique » au-delà du Modèle standard, doivent contribuer à cette asymétrie cosmologique. La violation CP observée dans les baryons ne serait donc qu’une facette d’un phénomène plus vaste et complexe.

Vers de nouveaux horizons

Cette première observation ouvre un champ de recherche entièrement nouveau. Les physiciens peuvent désormais étudier systématiquement la violation CP dans différents types de baryons, potentially révélant des indices sur les mécanismes encore inconnus qui ont permis à notre univers matériel d’exister.

Chaque nouvelle particule étudiée pourrait apporter sa pierre à l’édifice de notre compréhension, nous rapprochant progressivement de la résolution de cette énigme fondamentale : pourquoi quelque chose plutôt que rien ? La réponse se cache peut-être dans les données du prochain run du LHC.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.