Les 240 morceaux du cerveau d’Einstein cachés jadis dans une glacière vont enfin révéler le secret du génie

Imaginez pouvoir ouvrir le crâne d’Albert Einstein et comprendre ce qui faisait de lui un génie. Cette idée, longtemps reléguée au rang de fantasme scientifique, pourrait devenir réalité grâce à une technologie révolutionnaire. Des chercheurs annoncent avoir développé une méthode capable d’analyser des tissus cérébraux vieux de plusieurs décennies à une échelle jamais atteinte. Leur cible potentielle ? Les fragments du cerveau du plus grand physicien du 20e siècle, dispersés aux quatre coins du monde depuis près de 70 ans. Une course contre la montre commence pour percer les mystères biologiques de l’intelligence exceptionnelle.

Une technologie qui change la donne

Dans une publication récente parue dans la revue Cell, une équipe de scientifiques présente Stereo-seq V2, une technique de cartographie de l’ARN d’une précision inégalée. Cette avancée permet d’examiner le cerveau à l’échelle cellulaire avec une finesse jamais vue auparavant. Pour comprendre l’importance de cette méthode, il faut saisir le rôle central de l’ARN dans notre biologie.

Cette molécule agit comme un messager universel au sein de nos cellules. Elle facilite les réactions chimiques vitales, régule l’expression de notre ADN et transporte les informations biologiques essentielles. Cartographier l’ARN revient donc à lire le mode d’emploi microscopique de nos fonctions cérébrales. Les chercheurs du BGI-Research ne cachent pas leur ambition : utiliser cette technologie pour étudier les cerveaux des plus grands génies de l’histoire.

Li Young, chercheur associé au projet, déclare sans détour au South China Morning Post : « Si nous avons la chance d’analyser le cerveau d’Einstein, nous pourrions essayer. » Une déclaration qui ouvre des perspectives vertigineuses.

L’incroyable odyssée d’un organe mythique

L’histoire du cerveau d’Einstein relève du roman d’espionnage scientifique. Lorsque le physicien décède en 1955, le pathologiste Thomas Harvey réalise son autopsie. Mais au lieu de s’arrêter à déterminer la cause du décès, Harvey prend une décision qui marquera l’histoire de la science : il ouvre le crâne, extrait le cerveau et le conserve.

Les motivations de Harvey restent débattues. Cherchait-il à préserver un trésor pour la recherche future ? Agissait-il par fascination personnelle ? Toujours est-il que l’organe disparaît pendant près de 25 ans. Un journaliste finit par retrouver sa trace dans des circonstances rocambolesques : Harvey lui montre ce qui reste du cerveau, conservé dans des bocaux en verre entreposés dans une simple glacière à bière. Le détail paraît presque insultant pour un organe d’une telle valeur historique, mais il illustre parfaitement le caractère chaotique de cette conservation improvisée.

Entre-temps, le cerveau avait été découpé en environ 240 morceaux. Certains fragments furent prêtés à d’autres scientifiques, d’autres montés sur des lames de microscope. Le centre de contrôle du plus grand esprit scientifique du siècle se retrouvait ainsi dispersé, fragmenté, presque profané.

cerveau d'Einstein
Crédit : D. Folk, F. Lepore, A. Noe
Thomas Stoltz Harvey et le cerveau d’Einstein.

Les défis de la résurrection scientifique

Mais cette dispersion pourrait paradoxalement servir la science moderne. Avec Stereo-seq V2, les chercheurs disposent désormais d’un outil capable d’analyser ces échantillons historiques. Reste une question cruciale : ces tissus sont-ils encore exploitables ?

Liao Sha, co-auteur de l’étude, exprime ses réserves : « Si les échantillons se sont trop dégradés, nous ne serons pas en mesure de les analyser efficacement. » Et pour cause : en 1955, les techniques de cryoconservation étaient rudimentaires comparées aux standards actuels. Personne ne peut prédire avec certitude l’état réel de ces fragments après près de sept décennies.

Cette incertitude n’enlève rien à l’intérêt de la nouvelle méthode. Au-delà du cas Einstein, Stereo-seq V2 promet de révolutionner l’étude des maladies rares. Auparavant, la recherche sur ces pathologies prenait des années en raison de la difficulté à rassembler suffisamment d’échantillons. L’amélioration spectaculaire de l’efficacité de cartographie permettra d’accélérer considérablement les diagnostics et les traitements.

Peut-on vraiment décoder le génie ?

Supposons que l’analyse du cerveau d’Einstein soit possible. Que révélerait-elle exactement ? La notion même de génie reste mystérieuse. Contrairement aux idées reçues, l’intelligence exceptionnelle ne se transmet pas comme une simple caractéristique physique. Les scientifiques n’ont jamais identifié un « gène du génie » unique.

La réalité semble bien plus complexe. Le génie résulterait d’une alchimie subtile entre plusieurs marqueurs génétiques, des traits de personnalité comme la persévérance et l’opiniâtreté, ainsi que des facteurs environnementaux favorables. Einstein lui-même attribuait son succès davantage à sa curiosité obstinée qu’à une intelligence innée supérieure.

Cette nouvelle technique de cartographie pourrait-elle enfin démêler cet écheveau ? Pourrait-elle identifier les patterns cellulaires qui distinguent un cerveau ordinaire d’un cerveau extraordinaire ? La réponse se trouve peut-être au fond d’une glacière à bière, dans un bocal en verre contenant quelques grammes de tissu neural. Seul le temps nous le dira.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.