L’épidémie qui mena à l’invention des soins intensifs

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Crédits : Medical Museion, Univ. Copenhagu

Les respirateurs artificiels sont le principal moyen de maintenir en vie les patients durement touchés par le Covid-19. Revenons sur la genèse des soins intensifs.

En 1952, Copenhague (Danemark) fut l’épicentre de l’une des pires épidémies de polio de toute l’histoire. Cette année-là plus de 5 700 cas furent enregistrés en ville, dont 2 450 montraient des signes de paralysie respiratoire. Le seul hôpital de la région habilité au traitement de la maladie – le Blegdam – était pris d’assaut, enregistrant entre 30 et 50 nouveaux patients par jour durant les premières semaines qui suivirent l’apparition de la crise.

Les médecins et infirmières de la ville n’étaient malheureusement pas équipés pour faire face à un tel afflux de patients. Ils ne disposaient que d’un seul poumon d’acier qui, à l’époque, était le principal moyen de traiter l’insuffisance respiratoire des patients.

Un poumon d’acier, grossièrement, est une sorte de grand tambour cylindrique dans lequel est positionné le corps d’un patient (la tête et le cou restent à l’air libre). Des pompes augmentent et diminuent de façon périodique la pression à l’intérieur du compartiment. Quand la pression descend en dessous de celle des poumons, l’air extérieur est aspiré par les voies aériennes supérieures pour remplir les poumons. Et inversement, lorsqu’elle remonte au-dessus de celle des poumons, l’air est expulsé des poumons.

L’oscillation de la pression intrathoracique permettait ainsi l’inspiration et l’expiration de l’air dans les poumons. La méthode était efficace; des milliers de vies ont pu être sauvées à travers le monde au milieu du XXe siècle grâce à ce caisson. Mais pour l’hôpital Blegdam, ce n’était pas suffisant.

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Un poumon d’acier. Crédits : CDC/GHO/Mary Hilpertshauser

L’intuition d’un jeune anesthésiste

Désespéré de trouver une solution pour gérer l’afflux de patients, le médecin-chef de l’hôpital convoqua une réunion à laquelle assista un jeune anesthésiste, nommé Bjørn Ibsen. Ce dernier, qui revenait tout juste d’un stage de formation au Massachusetts General Hospital de Boston, aux États-Unis, eut l’intuition que les patients concernés par l’épidémie ne mouraient pas d’une surproduction virale dans le sang ou le cerveau, comme cela était suggéré, mais en raison d’une augmentation du CO2 contenu dans le sang à la suite d’une hypoventilation.

Son intuition fut ensuite confirmée par les autopsies de quatre patients morts de poliomyélite, ventilés par poumon d’acier, qui présentaient effectivement des niveaux excessifs de dioxyde de carbone alors que leurs poumons étaient parfaitement opérationnels. Il proposa alors l’idée de s’appuyer sur une approche inverse : celle de la ventilation en pression positive continue.

Autrement dit, le jeune anesthésiste suggéra de souffler de l’air directement dans les poumons des patients pour les faire se dilater, puis de permettre au corps de se détendre passivement et d’expirer.

Pour ce faire, il proposa l’utilisation d’une trachéostomie, qui consiste à faire une petite incision dans le cou, puis à passer un tube dans la trachée pour fournir de l’oxygène aux poumons. Son idée fut la bienvenue et, dès le lendemain, le 26 août 1952, il fut autorisé à tester sa technique.

La première patiente à en profiter fut une jeune fille de 12 ans, nommée Vivi Ebert, dont les muscles respiratoires étaient déjà partiellement paralysés. En conséquence, elle avait un poumon obstrué de mucosités, et menaçait à court terme de suffoquer avec sa propre salive. Le médecin aspira alors le mucus pulmonaire de la jeune fille placée sous anesthésie générale et prit un insufflateur afin de procéder à la ventilation manuelle de la patiente. Comme prévu, après quelques minutes, la jeune Vivi était ventilée et ses poumons étaient libres de salive.

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Björn Ibsen. Crédits : andersbeck

Une opération héroïque

Suite à cette démonstration, il a donc été décidé d’opérer de la même manière avec tous les autres patients en détresse respiratoire de l’hôpital. Sauf qu’à l’époque, il n’y avait pas de ventilateurs. Ainsi, plus de 250 étudiants en médecine et 260 infirmières ont été recrutés en urgence pour assurer la respiration manuelle des patients concernés. Plusieurs équipes se sont formées, se relayant toutes les six heures. Cette opération remarquable aura duré plusieurs semaines et, grâce à ces efforts, le taux de mortalité des patients tomba de 87 % à environ 25 %.

Quelques mois plus tard, un enfant atteint de tétanos fut admis à l’hôpital de Blegdam. Bjørn Ibsen, estimant que les symptômes des patients atteints de tétanos et des patients atteints de poliomyélite étaient techniquement très proches, décida d’opérer de la même manière. Il ventila ainsi l’enfant pendant une durée de 17 jours, jusqu’à son réveil. Mais la facture avait finalement coûté très cher à l’hôpital. C’est pourquoi la ville de Copenhague chargea le jeune médecin de créer un département d’anesthésie qu’il dirigerait en tant qu’interne.

Bjørn Ibsen dirigea dès 1954 ce département et équipa au passage une salle de surveillance et de ventilation. Ainsi, le concept d’une unité de soins intensifs (USI) était né. Par la suite ces unités ont proliféré dans le reste du monde et l’utilisation de la pression positive, avec des ventilateurs, est devenue la norme.

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