galaxies voie lactée
Crédits :Dominic Gareau/istock

L’énigme des galaxies manquantes : la Voie lactée pourrait être encerclée par une armée invisible

Depuis des décennies, les astronomes savent que la Voie lactée n’est pas seule dans l’espace. Autour de notre galaxie gravitent déjà une soixantaine de petites galaxies satellites, des objets compacts et faiblement lumineux, souvent qualifiés de galaxies naines. Pourtant, si l’on en croit une nouvelle étude menée par des cosmologistes de l’Université de Durham, il en existerait bien davantage, peut-être plus d’une centaine, qui demeurent encore invisibles à nos instruments.

Ces galaxies manquantes ne sont pas simplement une curiosité pour les astronomes : leur existence potentielle vient alimenter un débat fondamental en cosmologie. Elle pourrait permettre de conforter, ou de remettre en question, le modèle dominant qui décrit la structure de l’Univers et la formation des galaxies, connu sous le nom de modèle Lambda-CDM(matière noire froide lambda).

Le mystère des galaxies satellites disparues

Le modèle Lambda-CDM prédit que toutes les galaxies, grandes ou petites, se forment au sein de gigantesques bulles invisibles appelées halos de matière noire. Cette matière noire, bien qu’inobservable directement, constituerait environ 85 % de la matière de l’Univers. Elle ne reflète ni n’émet de lumière, mais son existence est déduite de ses effets gravitationnels sur les galaxies, les amas d’étoiles et la lumière elle-même.

Autour de la Voie lactée, ce halo de matière noire agit comme un filet gravitationnel, capturant au fil des âges d’innombrables galaxies naines. Pourtant, à l’heure actuelle, seuls quelques dizaines de ces satellites ont été identifiés. Selon les simulations du modèle Lambda-CDM, il devrait y en avoir beaucoup plus. Cette incohérence est connue des astrophysiciens sous le nom de problème des satellites manquants.

Est-ce un défaut du modèle, ou un simple biais d’observation ? C’est précisément cette question qu’ont voulu explorer les chercheurs de Durham.

Une plongée dans le halo galactique avec des supercalculateurs

Pour tenter d’y voir plus clair, les scientifiques se sont appuyés sur l’une des simulations les plus précises et détaillées jamais réalisées : la simulation Aquarius. Ce modèle informatique reproduit avec une extrême finesse la répartition de la matière noire dans un halo galactique semblable à celui de la Voie lactée.

Ils y ont intégré le code GALFORM, un outil de modélisation qui simule la formation des galaxies en suivant des paramètres essentiels tels que le refroidissement du gaz, l’apparition des premières étoiles ou encore l’agrégation progressive de matière.

Grâce à cette approche, ils ont pu reconstruire l’histoire mouvementée des galaxies satellites potentielles. Leurs résultats sont sans appel : il existerait bel et bien entre 80 et plus de 100 galaxies naines supplémentaires en orbite autour de notre Voie lactée. Si elles échappent à nos télescopes aujourd’hui, ce n’est pas qu’elles n’existent pas, mais plutôt qu’elles sont devenues presque invisibles au fil du temps.

voie lactée galaxies
La Voie lactée entourée de ses galaxies satellites, selon la simulation Acquarius-A-L1. Crédit image : Simulation Aquarius, Consortium Virgo/Dr Mark Lovell.

Ces galaxies qui se dissolvent lentement

Au cours de milliards d’années, ces petites galaxies naines ont traversé à de multiples reprises le halo gravitationnel de la Voie lactée. À chaque passage, elles ont perdu une partie de leur matière, arrachée par les forces gravitationnelles de notre galaxie. Petit à petit, leur contenu en étoiles s’est amenuisé, tout comme leur halo de matière noire. Certaines ont été presque entièrement absorbées, d’autres subsistent à peine, réduites à des îlots d’étoiles à la limite de la détection.

C’est précisément cette extrême faiblesse lumineuse qui rend leur observation si difficile. Les instruments actuels peinent à repérer ces galaxies fantomatiques, disséminées dans l’immensité de notre halo galactique.

Le futur des observations : lever le voile sur l’invisible

Mais cette situation pourrait changer très prochainement grâce aux progrès technologiques. L’observatoire Vera Rubin, équipé de la plus grande caméra numérique jamais construite pour l’astronomie, pourrait bien lever le voile sur ces satellites cachés. Grâce à ses capacités exceptionnelles à repérer des objets faiblement lumineux, il devrait être en mesure de confirmer ou d’infirmer ces prédictions.

Pour les cosmologistes, l’enjeu est considérable. Une telle découverte viendrait valider le modèle Lambda-CDM et renforcer la confiance des scientifiques dans leur compréhension des grandes structures de l’Univers. Comme le souligne Carlos Frenk, co-auteur de l’étude, cette confirmation serait « un succès remarquable pour la théorie » et montrerait « à quel point les mathématiques, la physique et la puissance des superordinateurs peuvent prédire des phénomènes encore invisibles ».

Un rappel des limites actuelles de notre regard sur l’Univers

Au fond, cette recherche souligne une réalité souvent oubliée : notre vision de l’Univers est encore très partielle. Ce que nous observons aujourd’hui n’est qu’une infime fraction de ce qui existe réellement. Dans les prochaines années, de nouvelles découvertes viendront certainement compléter ce tableau.

Car si ces galaxies satellites cachées existent bel et bien, elles ne sont pas simplement des points de lumière en plus sur nos cartes du ciel. Elles sont des témoins précieux de l’histoire tumultueuse de notre galaxie, et des clés essentielles pour mieux comprendre l’architecture invisible qui façonne l’Univers.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.